Nigga, nigga, nigga, négro, négro, négro… On entend tellement de fois le mot nègro, the N word comme disent les américains, que tous les acteurs finissent par devenir noirs, avec du cirage sur la face, et les lèvres repeintes au rouge à lèvres rouge vif. Absurde. La caricature colportée par la tradition et l’histoire, l’image du noir dans une société occidentale enfin mise en images.
Spike révise le célèbre et proverbial adage: Peau noire, masques blancs, et le retourne à l’envers, ça devient : Masque noir dans une société blanche, mais plus pour longtemps. Tout est brouillé, il n’y a pas de morale, tout le monde joue le cirque de la société du spectacle, la folie du show business cash money américain. Certains jouent même leurs propres rôles dans ce film-jeu sur les apparences. On pourrait se demander : Où est l’histoire dans tout ça ? Et bien il n’y en a pas. Ceci est une fausse émission, un faux show télé, filmé en mode téléréalité, où comment un producteur noir, Damon Wayans, lance un show raciste et provocateur pour doper l’audimat. Ça marche au-delà des espérances, et il finit par être entraîné par le succès, qui se transforme en échec personnel.
Pas d’histoire, mais superbe pitch. Les images sont comme volées, une qualité vidéo amateur, une caméra numérique, un grain visible, une esthétique pauvre de télévision projetée sur un grand écran. Les rappeurs sont vus comme les nouveaux Oncle Tom, qui perpétuent le cliché du bon nègre, tout en jouant au rebelle. Les médias vus comme complices du décervelage américain, les hommes d’affaires eux s’enrichissent sur la pauvreté du ghetto, et surfent à fond sur la mode gangsta rap. Tous les blancs du film finissent par se mettre du cirage sur la face, comme les noirs d’ailleurs, pour jouer à qui est le plus noir. Négro, négro…tous jouent au nègre, sans même chercher à savoir ce que cela implique.
Une musique de Stevie Wonder superbe, lyrique, une Jada Pinket inattendue, un Damon Wayans jamais vu, un jusqu’au boutisme bienvenu, qui a depuis quitté monsieur Lee. Spike n’a pas besoin de dénoncer quoi que se soit, ici, les images s’en chargent toutes seules. On a même de vraies séquences d’archives, reflets de l’époque ou jouer au nègre c’était une question de survie, pas un jeu. Spike pousse le vice jusqu’à répondre à Tarentino sur un vieux contentieux concernant la pertinence du mot négro. Pour Quentin, c’est juste un mot. Pour Spike, c’est plus qu’un mot, c’est une condition sociale. Si ce n’est qu’un mot, on peut le répéter mille fois sans que cela fasse mal, non ? Nigga, nigga, nigga, nigga, nigga… Très bon Spike Lee. Une tuerie. Intelligent, drôle, satire sulfureuse et méconnue de la société du spectacle américain. J’espère que la vidéo va lui redonner une nouvelle vie.