C’est sur un (faux) plan-séquence impressionnant de nervosité et de virtuosité que s’ouvre ce ballet féroce. Essentiellement tourné à la première personne, chorégraphié avec précision, ses forts relents vidéoludiques ne manquent pas de plonger le spectateur au plus près de l’action. D’entrée, la barre est placée. Au fil du film, Jeong Byeong-gil explore différentes manières de filmer le combat, avec une inventivité sans cesse renouvelée, mais elles se montrent toutes à la hauteur de cette introduction musclée. En particulier, elles ont en commun de savoir communiquer la confusion et l’aspect chaotique des scènes d’affrontement tout en les rendant très lisibles, défi trop rarement relevé à pareille ampleur. Ambitieuses, millimétrées, sans concession, ces démonstrations de brutalité ne sont ainsi pas sans rappeler le tout aussi farouche The Raid 2 de Gareth Evans, sans pour autant parvenir à égaler son esthétique soignée – notamment parce que l’artificialité de certains plans se fait ressentir.


Si ces mises en scène sanglantes sont indéniablement le point fort du film, il faut toutefois noter qu’elles n’occupent pas l’entièreté de ses deux heures. La partie centrale du film nous offre en effet un changement de ton alors que l’on suit Sook-hee dans sa vie moins mouvementée d’agent dormant et sa romance arrangée avec un autre agent chargé de la surveiller. Si c’est l’occasion de reprendre son souffle et de laisser un peu de place à l’humour et l’émotion, il faut néanmoins admettre que ces passages peinent un peu plus à captiver. On est ainsi très loin du jonglage brillant que Yoshida Keisuke avait effectué dans Hime-Anole, où il passait brusquement de la comédie romantique sucrée au thriller froid et violent. Aussitôt quitté son domaine privilégié de l’action, The Villainess nous propose des scènes outrageusement banales qui, si elles ne gâchent pas le film, s’éternisent un peu trop.


C’est cependant du côté du scénario que le bât commence véritablement à blesser. D’abord difficile à appréhender du fait de la parcimonie avec laquelle le passé de l’héroïne nous est livré, on s’aperçoit rapidement qu’il est de nature purement instrumentale, visant simplement à placer les pions au bon endroit et dans les bonnes dispositions pour les combats. Ainsi, outre son manque global d’originalité, il souffre surtout d’une absence totale de justification, notamment vis-à-vis de l’existence des deux agences criminelles entre lesquelles Sook-hee est ballotée et de leurs actes. Chercher du sens au métrage s’avère donc peine perdue. Néanmoins si l’on part du principe que l’on adopte le point de vue de la jeune femme, vivant en vase clos depuis l’enfance dans ce monde manipulateur d’assassins où elle tient une simple fonction d’exécutrice (dans les deux sens du terme), on peut se satisfaire de saisir aussi mal qu’elle les enjeux à l’œuvre. Alors, une fois accepté ce défaut de contexte, il est beaucoup plus facile d’apprécier ce spectacle quelque peu gratuit.


En effet, The Villainess apparaît avant tout comme un film qui se fait plaisir dans sa mise en scène. Si cela était déjà en partie le cas dans le précédent film du réalisateur, Confession of Murder, cela se ressent ici avec encore plus de clarté. D’une part, l’effervescence de violence qui se veut le principal argument de vente du film est bel est bien au rendez-vous, et comporte son lot de luttes à l’arme blanche pour toujours plus de brutalité. D’autre part, une certaine esthétique du corps et du charisme féminins ne fait plus de doute dès lors que l’on découvre que l’agence qui a embrigadé notre héroïne n’entraîne… que des femmes. Kim Ok-bin, toute de cuir vêtue dans le rôle de Sook-hee, est la parfaite incarnation de ce double fantasme, que les rôles secondaires ne viendront pas démentir. Tant que le film assume pleinement ces plaisirs coupables, on peut donc sans mal se laisser porter par cette décharge haletante uniquement préoccupée de la jouissance visuelle.


En revanche, c’est peut-être ce qui explique la faiblesse de sa partie centrale, supposée approfondir les personnages en les approchant sous un angle plus psychologique : elle semble ainsi quelque peu hypocrite à l’égard du reste de l’œuvre, en plus d’en briser le rythme. Ainsi, pour plus de dynamisme, le métrage aurait sans doute gagné à se délester de quelques passages de romance légèrement fastidieux, d’autant qu’ils apportent peu à l’intrigue et manquent de relief. Les deux heures qui s’affichent au compteur se font en effet ressentir, et c’est non sans soulagement mais déjà avec une certaine lassitude que l’on aborde le dernier acte. Certes, celui-ci nous livre une nouvelle fois de brillantes scènes d’action, mais il est amené assez malhabilement du point de vue scénaristique. Il n’était ainsi peut-être pas nécessaire de s’attarder sur des retournements de situation somme toute prévisibles et qui laissent le spectateur plus confus qu’éclairé.


En fin de compte, The Villainess tient toutes ses promesses en termes d’action, et assure un spectacle d’une impressionnante maîtrise. Jeong Byeong-gil nous prouve ici qu’il restait encore des idées à creuser en termes de mise en scène, et son exposé sera sûr de laisser en tête des images mémorables. Cependant, on peut regretter que son escapade dans le drame plus convenu n’ait pas le même brio et leste l’ensemble. Il faudra donc faire preuve d’un peu de patience pour naviguer dans les maladresses de l’intrigue et mieux apprécier les scènes de combat qui se dégustent comme des friandises.


[Rédigé pour EastAsia.fr]

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le 13 sept. 2017

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Lila Gaius

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