(Texte réécrit en 2022. Parce que si le ridicule ne tue pas la première fois, pourquoi changerait-il d’avis à la seconde ?)
J’avais expliqué dans la version précédente de cette pseudo-critique que The Visit était probablement le meilleur film d’horreur grand public des années 2010, que les acteurs étaient adorables, que les grands-parents étaient abominables et que le film, marquant le retour de Shyamalan, était emprunt d’une sensibilité toute à lui entre ce chassé croisé dramatique au cœur duquel le personnage de Kathryn Hahn subit un contrecoup de regrets dévastateur.
Seulement, à part en tirer cette description de fanboy un peu pompeuse, j’avais omis en regardant le film de me laisser aller aux véritables signes qu’il pouvait intimer. Ces signes qui lorsqu’on retrouve quelqu’un qu’on avait perdu de vue, comme ici Shyamalan et le spectateur reprenant contact, se manifestent toujours avec timidité, une certaine imperceptibilité et une incommensurable subjectivité. Car quand Shyamalan nous rend visite, il ne faut pas oublier de faire ce que l’on pensera être l’autre moitié du chemin.
Il n’est donc ici qu’affaire de théorie personnelle. A partir d’un fil d’ariane d’abord fantasmé au début d’un énième revisionnage et qui semble se confirmer avec la toute fin du film. Car une fois l’affaire conclue, un encart apparait, inséré dans le montage par Becca, cette jeune Kubrick en herbe, pour nous indiquer que la chanson qui suit lui a été imposée par son frère, rappeur-comique en herbe. Cet encart ne délivre pas de clé magique, en ce qu’il ne fait qu’introduire la séquence qui le suit, mais dans la forme il nous apprend et confirme une chose très importante. Que le montage du film que nous venons de voir est l’œuvre de Becca. Dans la fiction elle réalise le film. Cela semblait évident, mais pour l’avancer il faut le signe qui le confirme. A partir de là, Becca a monté le film de sa séquestration, avec son frère, par des meurtriers que l’on voit vaquer à leurs folies non passagères, où elle filmera subrepticement les cadavres en décomposition de ses grands-parents et toutes autres péripéties traumatisantes.
Seulement, le film ne s’inscrit pas dans la veine fantastique (Incassable et consorts) ou même fantasque (la série Servant) que l’on connaît de Shyamalan. Le film est dans un environnement fictionnel complètement réaliste. A partir de là, s’imaginer que Becca ait pu, malgré les évènements, monter un tel film de son drame, est une aberration. Pour de nombreuses raisons, les images ne seraient plus en sa possession mais saisies par les autorités, pour mener l’enquête qui découlerait de l’arrivée de la police, et comment pourrait-elle elle-même avoir le courage émotionnel de se confronter à ses images sur une table de montage.
Si l’on part du principe que Shyamalan œuvre un tant soit peu à être vraisemblable dans ce film alors le film intradiégétique réalisé par Becca est aussi une pure fiction sous forme de faux found-footage. Une fiction dans la fiction. Le film The Visit mettrait alors en scène la film mis en scène par une apprentie réalisatrice pleine de talents.
Une telle mise en abîme offre ce que je trouve être une perspective intéressante au film. Avec une enfant qui n’est plus victime d’un fait divers mais chef d’orchestre de sa créativité, de ses références au cinéma et de la ludicité de sa mise en scène. Tout en servant d’excuse à Shyamalan pour délester par cette astuce de la fiction certains gros sabots qu’il s’autorise à enfiler pour singer cette petite tête blonde réalisatrice moins accomplie, plus baroque. Et le revers est d’autant plus ironique que Blumhouse produit alors un faux film d’horreur. D’ailleurs Shyamalan n’est déjà plus dans la roue de Jason Blum (même s’il en aura profité pendant deux autres films, Split et Glass), ayant repris son indépendance, pour le film Old, avec sa seule société de production Blinding Edge Pictures.