A force d'être un cinéaste inégal, on ne sait plus par quel bout prendre ce cher monsieur Night Shyamalan (et non, à toutes les mauvaises langues qui liront cette critique, son nom n'est pas difficile à prononcer !). Mais s'il y a bien une thématique commune à toutes ses oeuvres, et encore une fois au centre de son dernier film, c'est le choix d'une "banalisation" du fantastique, rendre plus naturel ou en tout cas organique le surnaturel. C'est le cas du Village, de Incassable, de Sixième Sens aussi qui mettait son personnage principal au centre des éléments fantastiques. C'était aussi de toujours faire surgir le fantastique au sein d'un drame humain personnel ou familial.
C'est donc doublement le cas dans The Visit, qui se permet une conclusion uniquement portée sur la force dramatique des conflits familiaux (ici mère-fille, le père étant absent et le fils assez mineur) et qui joue constamment sur le doute entre le surnaturel et le réel. Il faut voir avec quelle habileté le film se balance entre différents tons et genres cinématographiques : tantôt comique, tantôt émouvant dans son dernier tiers, The Visit passe du film d'horreur au thriller, semble parodique puis premier degré, fait sursauter puis rire.
Il existerait apparemment trois montages du film : un tel qu'il est, un purement horrifique et un dernier purement comique. Cette version hybride, si elle semble du coup déséquilibrée par ce mélange déstabilisant, est en fait la seule qui pouvait véritablement marcher car elle empêche le film d'aller dans le cliché de la parodie facile ou dans celui du fléau du "sursaut à tout prix" qui touche beaucoup de films d'horreurs aujourd'hui.
Oh bien sûr, on sursaute pendant le film (enfin ce fut mon cas en tout cas, mais je suis de nature facile...). Ca pourrait être énervant si le film ne jouait pas avec évidence sur ces codes, en rendant le sursaut ridicule donc jouissif. La réussite de cette mise à distance est selon moi dû à deux choix brillants : le casting de la vieille femme et le montage alterné.
Pour le premier, ce personnage de grand-mère possiblement possédée est génial car tout autant flippant que ridicule. On sursaute la première seconde de ses apparitions, puis on rit pendant les cinq suivantes. Par exemple, pendant plan large de caméra cachée façon Paranormal Activity, on attend le jumpscare à chaque seconde et finalement il surgit en gros plan face caméra comme jamais. C'est grotesque et efficace en même temps, c'est donc parfait car ça permet cette banalisation du surnaturel citée en début de critique. De la même manière, lorsqu'elle rampe au sol après les ouvertures de porte de la jeune Rebecca (particulièrement touchante lors d'une confrontation face caméra), impossible de ne pas rire face au ridicule de son déhanché à quatre pattes.
Concernant le montage, la première chose qui m'a frappé est la suite de deux scènes, génialement juxtaposées pour créer un effet de distanciation inédit. Vers le début du film, Rebecca ouvre la porte de sa chambre et le spectateur est surpris par une envolée fantomatique de la grand-mère, traversant le cadre de droite à gauche avant de disparaître. Le bout de scène fait assez peur au spectateur comme aux deux adolescents, et pourtant dans la scène suivante le jeune prépubère imite sa grand-mère (la mise en scène recréant exactement le même cadre). Dans quel autre film d'horreur avons-nous vu un tel recul par les personnages eux-mêmes ? Une situation de peur désamorcée dans la minute suivante par le rire ? L'effet ne plaira pas à tout le monde c'est sûr, mais il est en tout cas original. Qu'on ne me dise pas après cela que Shyamalan n'invente plus rien.
Constamment au cours du film, le rire succède ainsi à la peur avec une telle maîtrise des tons que l'un n'éclipse jamais l'autre. Encore mieux, le montage parvient même à mêler situations typiques des films d'horreurs (passage obligé à la cave, dans le grenier/chambre du dessus) à des situations dramatiques subies par les personnages. La meilleure qui me vient en tête surgit à la fin du film, lorsque les enfants découvrent le pot aux roses. Tandis que Rebecca est à la cave et bouge de manière incompréhensible sa caméra (permettant ainsi à chaque nouveau mouvement une surprise face à la présence de la grand-mère), Tyler est tyrannisé par le grand-père dans la cuisine en haut. La séquence alterne plusieurs fois entre l'un et l'autre, donnant à chaque morceau la force de son alter-égo, rendant le surnaturel plus naturel et le réel plus étrange. On pourrait penser que ce montage alterné faire perdre en force chacune de ces scènes, je crois au contraire qu'il leur permet d'acquérir une nouvelle force, une sorte d'alliage par la séparation.
Il est alors bien dommage que le film cède parfois à l'humour facile comme les raps idiots de Tyler, ou qu'il n'accentue pas davantage le mal-être des deux ados. Si le premier point aurait pu être facilement évité, le deuxième aurait nécessité quelques minutes de plus et une savante intégration au récit. Mais bon, l'important c'est que j'ai repris foi en Shyamalan.