Très réussi ! D'autant plus que c'est un film qui repose sur très peu de choses mais principalement sur toute toute la croyance du spectateur - croyance qui encore une fois chez Shymalan, constitue le cœur du film. Petit film certes, mais très troublant malgré tout, il en ressort une émotion ambiguë qui rappelle Noriko's Dinner Table de Sono Sion dans le sens où le jeu de la famille se voit confronté à l'horreur d'une potentielle réalité masquée, tronquée et perdue à tout jamais. Que la théâtralité remplace peu à peu la "réalité", que les limites des règles du jeu soient floues, que la peur de l'inopérable se produise.
La famille, énième hantise du cinéma d'épouvante auquel Shymalan rends des clins d’œil astucieux - la famille est comme prise dans l'étau de la fiction, celle qui est bien filmée par la caméra de Shymalan. Le "vrai" sujet, l'immédiat portrait de ce film ressemble plus au contraire à un film qui n'est pas sur la famille mais sur les relations que nous entretenons avec nos semblables lorsqu'ils perdent la tête (ce film est filmé par les deux enfants donc) et c'est d'autant plus intéressant que ce film là a été soit mal compris, soit mal interprété (donc sans ironie) par la presse. Il y a pourtant un humour assez cruel et bien ficelé dans l'ensemble du film, qui dénonce justement ce que nous pensons savoir et dire sur les gens qui déraillent, ce "syndrome de crépuscule" (quel nom !) dont les enfants font une recherche à un moment. Le temps d'un passage sur Wikipedia et on peut très bien se faire une raison quand à l'identité mentale d'une personne, juste avec ces quelques bribes d’informations. Ce phénomène se reproduit lors du fameux "twist" qui est certes prévisible mais très troublant malgré tout... et pas si bête que ça tout compte fait :
Comme si les bribes même de l'histoire nous manquaient, le film est en partie mis sous le shunt noir du temps, dans le sens où les conditions sont réunies pour que tout ne se passe pas comme prévu et que le spectateur soit amené à interpréter sa vérité des faits. Le twist est généralement une technique bien lourdingue pour renverser inutilement un film en jouant sur les non-dit, ici au contraire, c'est la vue qui nous manque, en cela, le film de Shymalan joue astucieusement avec notre perversité immédiate, notre jugement et nos données psychiques.
L'histoire de cette mère qui est parti chercher l'amour et fuir ses parents est toute simple mais au final très émouvante, surtout lorsque l'on peut remettre en question la véracité de ce que nous croyons voir et que tout apparaît sous une nouvelle lumière, en fait le film acquiert une autre lecture, un peu comme la fin grandiose du très complexe Prestige (Nolan). Les twists devraient exister uniquement pour jouer sur ceci : notre regard sur l'ensemble de l’œuvre comme sur chacune de ses parties intérieures, avec pour conséquence de nous faire doublement, triplement réfléchir à notre émotion, et de nous en procurer de nouvelles.
Bon mais mais à part ça, il faut aussi louer le choix intelligent des acteurs - notamment de Nana (la vieille dame) et du jeune garçon qui sont WOW, géniaux. Sûr qu'on reverra bientôt le petit sous les projecteurs - ou pas du coup ! Car l'autre chose à applaudir ici, c'est le total revirement formel de Shymalan qui passe d'un blockbuster imbuvable Affter earth à une film d'une intimité très élégante. Cela pourrait ressembler à n'importe quel Paranormal Activity, mais il faut bien dire que l'ambiance générale est bien plus efficace, que les acteurs sont superbes, qu'"on" leur prête une réelle attention, que certaines scènes - le petit demande à sa sœur pourquoi elle ne se regarde pas dans le miroir - sont d'un coup propulsées par un mouvement d'optique qui dynamite le plan. Et puis enfin, là, il y a quelque chose à raconter, Shymalan a toujours eu des choses à dire, et il les dit à l'écran souvent très bien, ça se confirme ici. C'est efficace, et ça ne bourre pas.
Avec Gallows (qui n'a pas l'élégance ni la puissance narrative de The visit), Shymalan utilise le matériel d'aujourd'hui pour faire un film très crédible, on ne peut plus moderne (ou mettre nos vieux sinon au grenier ?) et en même temps méchamment drôle (grâce surtout au garçon).
A noter que le film s'achève sur trois génériques très beaux et très différents ! ça me fait penser à notre Sokourov international qui trouble les codes du générique