On le sait depuis un moment, on le sait depuis le début même : Darren Aronofsky n’a jamais fait dans la dentelle. Il y va avec les gros sabots, ça il aime bien. Ses films sont des uppercuts recherchant comme une forme de grandeur, d’aboutissement formel et narratif dans l’excessivité. Toujours une emphase, toujours la claque dans la gueule avant de théoriser, de psychologiser. Alors parfois, le subtil par-dessus bord, ça fonctionne, c’est jouissif, c’est inoubliable (Requiem for a dream, Black swan, Mother!). Parfois c’est juste complètement nul, ça se plante, ça ne prend pas, tant pis, next (The fountain, Noé). Pour The whale en revanche, ce n’est pas que ce soit complétement nul, c’est, comment dire… au-delà du nul.
Que s’est-il passé ? On n’en sait rien. Qu’est-ce qui ne va pas ? À peu près tout. Le scénario d’abord, et les dialogues qui vont avec. Samuel D. Hunter a adapté sa pièce de théâtre, ressortie d’un fond de tiroir, narrant l’histoire de Charlie, professeur reclus atteint d’obésité morbide et sur le point de mourir, et tentant avant d’y passer de renouer des liens avec sa fille de dix-sept ans qu’il n’a pas revue depuis des années. Depuis ce jour où Charlie a abandonné sa famille pour partir vivre avec son amant que le décès a profondément affecté. Il y a dans The whale, il y a dans chacune de ses situations et chacun de ses enjeux comme une sorte de bourrage, de lourdeur doloriste. C’est du mélodrame XXL où tout est fait pour exiger de nous de l’empathie (pas d’émois, pas de larme à l’œil ? Vous êtes un monstre), accentuer les peines et le désespoir des personnages, tous plus inconsistants et pénibles les uns que les autres (la palme à Sadie Sink à qui Aronofsky a demandé d’être désagréable durant tout le film).
Les possibles réflexions sur la vie, la mort, la souffrance, la bonté et la foi nous sont balancées au bazooka (là où de la retenue, voire de la décence, semblait nécessaire, sinon logique) et ne débouchent que sur des aphorismes débiles et creux qui ont tôt fait de nous plonger dans un état d’irrémédiable agacement. Affliction, contrition, rédemption, élévation, voilà le programme ultra chargé de The whale dont les dix dernières minutes sont un summum de putasserie lacrymale où plus grand-chose ne nous est épargné en termes de chantage à l’émotion. Quant aux deux dernières, c’est sans doute ce qui a été fait de plus ridicule ces dernières années, le rire (involontaire) s’y disputant à la pure consternation.
La mise en scène maintenant. Piégé, au même titre que le spectateur, dans l’appartement de Charlie (que Matthew Libatique s’ingénie à éclairer le moins possible, sans doute pour exprimer là l’existence sombre et sans lendemain de Charlie), Aronosky se montre incapable de transcender le difficile exercice du huis clos, ce qu’il avait pourtant réussi dans Mother!. Sa caméra cherche, sans succès, à donner du rythme à un récit amorphe, à tenter de créer une synergie avec ses personnages. Et puis la façon qu’elle a d’exhiber le corps de Charlie est assez déplaisante. Là où, par exemple, Tod Browning (dans La monstrueuse parade) ou David Lynch (dans Elephant man) filmaient leurs «phénomènes de foire» avec une sensibilité et une réelle tendresse dans le regard (et comme Aronofsky avait su le faire dans The wrestler en sublimant un Mickey Rourke abîmé par la vie), Aronofsky ici ne recule devant rien pour nous imposer, se repaître de sa maladie, de sa difformité et de sa déchéance, le réduisant quasiment à ces seules caractéristiques. À la simple figure d’un martyr dont il faudrait obligatoirement s’émouvoir.
Il y a Brendan Fraser enfin. Ni bon ni mauvais, sans plus quoi, et on est loin, très loin de la soi-disant ex-cep-tion-nelle performance d’acteur vantée absolument partout. Mais c’est vrai qu’un retour en grâce, surtout enrobé de trois tonnes de latex, surtout dans un rôle de «freak» à fort potentiel Oscar, ça fait bander, ça rend tout chose, ça évite toute objectivité sur une interprétation dont il faudra bien, à un moment, admettre le côté quelconque. En même temps, Fraser fait vraiment tout ce qu’il peut pour briller, coincé entre répliques médiocres et fat suit encombrant. Et le spectateur vraiment tout pour s’en sortir, coincé entre exaspération et pathos jusqu’à l’écœurement.
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