Darren Aronofsky aime suivre les personnages bigger-than-life, jusqu'au-boutiste dans leur volonté d'autodestruction. C'est visible dans Pi, Requiem for a Dream, The Wresler, Black Swan et, bien sûr, The Whale (je n'ai pas encore visionné Noé ainsi que Mother!, donc je ne préfère rien en dire !).
Il y a particulièrement beaucoup de points communs entre le catcheur, incarné par Mickey Rourke, dans The Wresler, et le professeur obèse morbide (dont l'énormité est bien mise en relief par l'utilisation du format 1. 33 : 1, par le choix des plans et par l'inévitable resserrement, à cause de l'espace, de la caméra sur les protagonistes !) du film critiqué ici. Ils se suicident chacun à leur manière, l'un par l'exercice du catch, malgré une santé cardiaque fragile, l'autre en engloutissant des tonnes de (mal)bouffe ultra-calorique. Ils ont tous les deux chacun une fille, qu'ils ont laissé tomber et avec qui ils entreprennent de se réconcilier malgré l'attitude hostile (compréhensible !) de leur progéniture. Et à travers cette entreprise de réconciliation, c'est en partie la rédemption et le pardon qu'ils recherchent.
Bref, il n'est guère étonnant que le cinéaste ait choisi d'adapter pour le grand écran la pièce de théâtre de Samuel D. Hunter (aussi scénariste du film !). Il y a tout de lui. Il y a tout pour lui.
D'ailleurs, à travers ce huis-clos, se permettant rarement des plans de l'extérieur, l'origine scénique est affichée sans ambages, y compris dans les réactions des personnages (attention, ce n'est pas un défaut pour moi ici ; je vais y revenir tout de suite !). C'est outré, mais comme le ton de l'œuvre aronofskienne est d'être aussi grandiloquent que ses caractères sont bigger-than-life, cela paraît couler de source. Dans cette optique, je reproche juste un symbolisme pas franchement original quelquefois (oh, le soleil qui revient après que des plans grisâtre et pluvieux parce que... parce que je ne vais pas spoiler !) et une BO, avec moult trémolos au piano et au violon pour faire chialer, n'arrivant pas à se distinguer de la merde musicale moyenne oubliable qu'on nous chie un peu trop aujourd'hui pour nous rendre trop triste.
Mais autrement, déjà, les comédiens sont fabuleux. Sadie Sink (qui a du charisme et du talent à revendre, du haut de son jeune âge, comme ce n'est pas permis !), Ty Simpkins, Hong Chau, Samantha Morton et évidemment Brendan Fraser.
Ce dernier est vraiment exceptionnel. Il parvient à faire partager, par sa justesse, la moindre souffrance physique et morale de son personnage avec le spectateur (ah oui, quand même, big up pour les membres de l'équipe maquillage pour l'avoir rendu obèse avec autant de réalisme ; il ne manque pas le plus petit poil disgracieux !). Le moindre mètre à franchir devient une épreuve insoutenable. Il est aussi insupportable de le voir engloutir la moindre barre chocolatée, le moindre sandwich, la moindre pizza entière que de voir, par exemple, un toxicomane squelettique se piquer une énième dose dans un bras rachitique, troué et bleuté. Le moindre essoufflement... la moindre trainée de transpiration... Je ne tarirai jamais suffisamment d'éloges pour le travail qu'il a accompli dans cette œuvre. Je ne sais pas d'où est venu à Aronofsky l'idée, pas forcément évidente, d'avoir engagé cette star précise dans ce rôle précis (du fait que Fraser était associé à du divertissement grand public et ne s'était pas distingué au cinéma les années précédentes !)... mais bordel de putain de merde, il n'aurait pas pu faire un meilleur choix.
Et j'ai apprécié des personnages complexes, nuancés, voire pour certains ambigus, avec leurs bons et leurs mauvais côtés (en gros, humains !). Les interactions révèlent ce que chacun est réellement. C'est une des forces de l'ensemble.
Il y a l'infirmière, sorte de belle-sœur officieuse, figure dévouée, lumineuse, positive, limite sainte. Il y a l'ex-femme qui ne veut que cracher son venin face à un mari, qu'il l'a quittée pour un homme, mais qui ne peut s'empêcher, à son contact, de révéler un fond de gentillesse et combien elle est toujours soucieuse à son égard. Il y a la fille qui ne cesse de lui balancer à la gueule sa haine et son mépris, tout en commettant des actes dont on ne sait pas s'ils sont mus par la bienveillance ou la malveillance. En ce qui concerne le prosélytiste...
Je n'ai pas eu envie de le détester, y compris lors de la fin, quand on s'aperçoit qu'il n'a rien appris de son expérience de quelques jours auprès des autres protagonistes pour se réfugier à nouveau dans son intolérance. J'ai juste ressenti de la peine pour lui, peut-être du fait qu'il croit en toute sincérité servir le Bien, tout en continuant à se dévouer pour vivre dans le Mal.
Voilà, c'est tout ce que j'ai à observer sur cette œuvre puissante, glauque, mais touchante, touchante parce qu'en étant glauque, elle révèle la vulnérabilité de l'être. Même dans un amas de graisse ou au contact de celui-ci, il y a la grâce.