C'est une histoire écrite par Samuel D. Hunter qui en avait fait une pièce avant de la scénariser pour Aronofsky au cinéma. Lui en a fait un film qui sort sur les écrans dix ans après que la pièce a été jouée au théâtre.
The Whale (la baleine) raconte les derniers jours d'un professeur de littérature, devenu, conséquemment au suicide de son boy friend (en tout cas, c'est la raison qui est invoquée au début du film), bouffeur compulsif et archi, monstrueusement obèse au point d'avoisiner les 300 kilos et d'avoir du mal à se déplacer dans son appartement où il vit cloîtré. Petit à petit, on apprend qu'il vit dans un patelin de l'Idaho et donne des cours d'écriture, de dissertation anglaise, malgré son dramatique état de santé (il a une tension de 268 / 124 ! et, refusant de se faire hospitaliser, est quasi mourant). Il les donne en ligne, sur internet, en contact visuel et auditif avec ses étudiants, mais sans que ceux-ci puissent, eux, le voir. Nous, on le voit sur grand écran et à satiété. Les gros ont quelque chose de fascinant. Et ce Charlie est plus que gros, c'est une baleine, à la fois effrayante et touchante, parce que c'est un homme clairement intelligent, un homme en souffrance, plutôt sympathique et qui se détruit. C'est un spectacle terrifiant, touchant, étouffant et comme c'est l'adaptation d'une pièce de théâtre plutôt bien construite, il y a des personnages extérieurs qui font avancer l'intrigue et qui allègent l'atmosphère et nous font mieux comprendre le drame qui se joue sous nos yeux.
On peut détester, trouver ça excessif, outré, grand-guignolesque, tire-larmes, etc. Moi, j'ai aimé. Je ne me suis pas ennuyé pendant les près de deux heures que dure le film. On est presque tout le temps à l'intérieur de l'appartement, même si on entend les bruits du dehors (le temps est très pluvieux) et même s'il arrive qu'on voie la maison de l'extérieur. Mais cet espèce de huis clos est parfaitement logique puisqu'on est au côté de "la baleine" et qu'il ne sort quasiment plus de chez lui, du fait de son surpoids.
Cet homme-baleine a donc un boy-friend décédé, mais aussi une quasi belle-soeur (la soeur de ce petit ami, qui se trouve être infirmière et qui veille sur lui autant qu'elle peut), une fille (de 17 ans) dont il se soucie énormément et à propos de laquelle il culpabilise, un visiteur de vingt ans qui semble vouloir sauver son âme et le ramener à Dieu, une femme qu'il a abandonnée il y a huit ans pour se mettre en ménage avec un élève dont il était tombé amoureux (sa femme s'est vengée en le privant, autant qu'elle a pu, de sa fille), enfin le livreur de pizzas, qu'intrigue le manège de cet homme qui ne se montre jamais, bien qu'il lui apporte, presque chaque jour, des quantités de bouffe considérables.
Le film d'Aronofsky est bien foutu. La photographie et le décor de l'appartement sont plutôt bons et très étudiés. La caméra, dans cet espace clos, se meut autour de "la baleine", adroitement. La bande son est sobre mais bonne. Les personnages secondaires (surtout l'infirmière, la fille, le jeune prêcheur) sont intéressants et très correctement interprétés. Ils mettent tous en valeur Charlie-la-baleine, c'est à dire : Brendon Fraser, qui est "magnifique", effrayant, stupéfiant dans son rôle. Je fais court à son propos, puisqu'il a décroché l'Oscar du meilleur acteur la nuit dernière. Ce qui est sûr c'est que le film repose sur lui... comme Tar repose sur Cate Blanchett.
Je n'ai pas vu ni lu la pièce de Samuel D. Hunter, mais je suis sûr que le film adapte aussi habilement que possible la pièce pour ce qui est du fond. Mais formellement, Aronofsky en a fait un vrai film et je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir devant les yeux du théâtre filmé : l'histoire passe largement par les yeux, plus que par les oreilles. Donc bravo au réalisateur, autant qu'au scénariste, bravo à Brendon Fraser (et à ses maquilleurs, parce que ça devait être un sacré travail d'en faire "une baleine" tous les matins du tournage), sans oublier les cinq acteurs qui l'entourent et l'accompagnent jusqu'au "miracle" final.