À la mémoire de mon ami Hypergerme

Je voulais que mon 1000e film ait une signification particulière et qu'il marque une étape dans mon parcours approximatif de cinéphile.
J'ai d'abord pensé à des films cultes qui prenaient la poussière dans mes envies depuis longtemps : Metropolis ou Casino pourquoi pas ?
Toutefois, aussi bons que puissent être les films, ils n'avaient pas un sens singulier à mes yeux.
C'est un événement plus tragique qui m'a permis de trouver le film approprié. La mort prématurée de mon copain @Hypergerme a été un grand choc et j'ai voulu lui rendre hommage par ce biais en choisissant un de ses films préférés, ayant déjà vu son métrage culte, "Orange Mécanique".
Ce billet lui est donc dédié.


"Le Dieu d'osier" était un OVNI à sa création, un film qui, sorti de nulle part, a profité de toute une myriade de circonstances favorables, de hasards heureux et de fulgurances inattendues pour se faire une place d'oeuvre culte et de bizarrerie cinématographique de choix.


Il dépeint l'enquête d'un policier dans une île paumée d'Écosse dont les habitants semblent se livrer à des cultes d'un autre temps. Ce qui pourrait être le scénario d'un film bis pourquoi pas appréciable mais anecdotique, est magnifié par une foultitude d'éléments qu'on pourrait presque comparer à un alignement des planètes.


Déjà, "The Wicker Man" se place dans un contexte post-hippie (ou post-soixante-huitard comme on dit chez nous) qui donne aux célébrations païennes des insulaires, une saveur "summer of love" très nostalgique, mais aussi particulièrement crédible.


Cet ancrage historique permet également de placer un voile extrêmement sensuel sur tout le métrage, sensualité qui confine même parfois à l'érotisme. La libération sexuelle étant passée par là, le comportement impudique des protagonistes ne semble à aucun moment forcé ou inutilement libidineux. La nudité est traitée de façon candide, avec poésie même parfois. Que ce soit dans la scène où la fille de l'aubergiste reçoit la visite d'un jeune éphèbe ou lorsque cette dernière appelle en chanson le policier à la rejoindre dans son lit ; la tension sexuelle est quasiment continue, dans une expression résolument moderne et (étonnamment) peu oppressive.


Ensuite, le choix de placer l'intrigue en Écosse permet une immersion décuplée. Le scénario aurait pu être vite peu convainquant selon le lieu de l'action. Mais une île écossaise que l'on imagine perdue sur la façade atlantique, dans ces paysages déchirés où l'Écosse rappelle la Norvège et où les grandes plaines tourbées viennent s'effondrer dans la mer ; conjugue cet éloignement des modes de vie urbains à un cadre tout de même civilisé ; un lieu difficile d'accès, mais malgré tout inscrit dans le monde moderne.
L'insularité et l'accent chatoyant des locaux complètent ce parfait tableau.


L'approche du paganisme est, là encore, tout à fait juste. Là où le film aurait pu vite être ridicule avec un paganisme anglo-saxon traditionnel où la magie et la croyance en des êtres fantastiques avaient une place centrale ; il acquiert une efficacité toute particulière avec un paganisme new age (très inspiré par le néodruidisme) où la vénération de la nature et la réincarnation font consensus. Jamais ridicule, cette approche de la spiritualité permet également un mode de vie moderne qui, encore une fois, évoque l'esprit hippie.


Conséquemment, la musique du film prend une saveur unique avec tous ces éléments. Quasiment toujours diégétique, elle emprunte très largement au répertoire et aux sonorités de la vague british folk d'une part et de la freak folk d'autre part. M'évoquant tour à tour Bert Jansch, Trees et Comus, elle apporte au film une touche mélancolique, surréaliste mais profondément innocente.


C'est d'ailleurs la candeur du film qui fait son charme. Là où une écriture traditionnelle aurait très probablement tranché dans le conflit entre christianisme et paganisme (ou plus généralement entre religions du Livre et spiritualité), "Le Dieu d'Osier" ne prend pas partie et donne simplement à voir une forme d'expression sans doute radicale mais jamais hors de propos. Surtout, il aborde la question avec une douceur et une générosité extrêmement rares au cinéma.


Sans jugements, sans négativité et toujours avec une approche naturaliste, joviale et tendre, "Le Dieu d'osier" est un film qui en fait ressemble beaucoup à mon copain. Je comprends maintenant pourquoi il l'aimait et à l'inverse, le film me permet de comprendre pourquoi je l'aimais lui.

Raton
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le 19 mai 2019

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Raton

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