Depuis plus d’un an et après une projection jugée tétanisante à Sundance 2015, The Witch n’a cessé de faire parler de lui, jouissant d’une aura quasi-mystique et dont les premiers retours évoquaient un film troublant à l’effroi jamais vu. Le jury du festival de Robert Redford s’est également laissé charmer par cette première œuvre puisque Robert Eggers est reparti de Sundance avec le prix du Meilleur Réalisateur. A l’occasion de sa sortie nationale en mars aux Etats-Unis, The Witch a également pu compter sur plusieurs publicités bienvenues. En effet, le célèbre romancier Stephen King n’a pas hésité à adouber The Witch, le qualifiant de « film réaliste et plein de tension, aussi profond que viscéral » qui l’a profondément terrifié. Plus surprenant, les satanistes de l’association nord-américaine Satanic Temple ont félicité le réalisateur et n’ont pas hésité à organiser eux-mêmes les avant-premières du film qu’ils considèrent comme « une expérience satanique transformatrice qui leur tient à cœur ». De quoi créer un emballement médiatique pour un film qui -avec son modeste budget de production (3.5 millions de dollars)- s’est positionné comme le quatrième meilleur démarrage lors du weekend de sa sortie. Tous les projecteurs étant désormais braqués sur le film, le distributeur Universal a décidé de voir gros et a annoncé une date de sortie française pour le 15 juin prochain. Et ce qu’il faut dire, c’est qu’à l’instar des avis unanimes sur It Follows l’an passé, The Witch a tout pour être l’un des films d’horreur phares de 2016.


The Witch parle donc de la sorcellerie mais comme jamais le cinéma n’en avait parlé auparavant. Le récit s’intéresse au destin d’une famille chassée d’un village, qui refuse de suivre les préceptes de nouveaux évangélistes et décide de vivre en marge de la civilisation, préférant suivre leurs croyances traditionnelles. Croyant dur comme fer être sous la bénédiction de Dieu, ils ne vont pas tarder à faire face à d’étranges événements. Le clan familial n’en sera que plus meurtri dès lors qu’un des leurs sera porté disparu. Au-delà de son intérêt pour les mythes et croyances sur la sorcellerie et sa perception populaire, The Witch est avant tout une réflexion sur la condition humaine. Chaque membre de la famille croit être intouchable, touché par la bonté divine grâce à un mode de vie qu’il estime en concordance avec la pensée de Dieu. Mais au fond, chacun possède ses vices et est perverti par l’attraction du pêché. Le mensonge, la chair, l’inceste, le mépris. Chacun agit à un moment ou à un autre en mal, mais continuant de croire qu’il agit sous le joug de Dieu. Et c’est là que la sorcellerie fait son apparition car les hommes -immanquablement hypocrites- ne peuvent considérer le Mal que par l’entremise d’une présence démoniaque. Les sorcières servent d’argument à la culpabilité des protagonistes du film, qui rejettent la faute de leurs pêchés sur la présence de celles-ci. C’est leur ultime défense pour se persuader que le malheur n’est pas de leur ressort, mais de celui du Malin. Et finalement, est-ce-que cette sorcière existe vraiment ou ne pourrait-elle être que la représentation du mal qui contamine les hommes ? Au fond, The Witch est davantage un drame familial teinté d’une bonne dose de thriller, sous couvert d’une ambiance fantastique pesante. Le cinéaste n’hésite pas à jouer avec les attentes du spectateur, ce qui donne à son film des allures de suspense où le public est constamment amené à s’interroger sur la culpabilité des membres de cette famille (Y a-t-il vraiment une sorcière ? Quel personnage peut-être le coupable ? Sont-ils tous fous ? Qu’en est-il du monde extérieur ?). Les films d’épouvante ne sont jamais aussi intéressants et angoissants que lorsqu’ils interrogent le rapport entre le réel et l’imaginaire, et laissent subsister le doute. The Witch rentre dans cette catégorie. Robert Eggers crée un suspense haletant aux allures de The Thing et de Le Village où le spectateur doute de chacun des protagonistes du film mais également de son environnement.


Mettant quatre ans à obtenir les financements nécessaires pour monter son film, Robert Eggers a eu le temps de potasser son sujet, profitant de cette période d’attente pour explorer toutes les sources inspirées d’histoires de sorcières dans la Nouvelle-Angleterre du XVIIème siècle, et notamment les célèbres sorcières de Salem. Mais s’il maîtrise son sujet avec brio, le cinéaste épate par le souci de réalisme atmosphérique et d’angoisse qui règne au sein de The Witch. Enfin une lecture viscérale qui va au bout des choses, n’hésite pas à choquer et remettre en questions toutes les croyances universelles. A contre-courant de tout ce qui a déjà été créé, Robert Eggers ne tombe pas dans la facilité de la frayeur, suggère plus qu’il ne représente et préfère miser sur le suspense plutôt que la peur explicite. Des visions d’effroi brèves parcourent par à-coups ce conte familial macabre mais c’est davantage dans l’attente de quelque chose et l’inconnu que naît un fort sentiment d’angoisse. Cette angoisse, il faut également la voir dans l’audace d’un cinéaste qui brise les codes et enlève à l’enfance tout son caractère innocent pour en faire le terreau du mal. Robert Eggers n’hésite pas à aller à contre-courant de la représentation commune de l’enfance pour sous-entendre que l’origine du mal démarre à cette période de la vie, par l’hypocrisie des adultes. Le cinéaste propose ainsi avec ce film une réflexion intéressante sur le domaine de la croyance et de la condition humaine. L’hypocrisie de l’homme est pointée du doigt, de celui qui se dit vertueux alors qu’il n’est au fond qu’attiré par le pêché et cède au mensonge, par pure vanité et individualisme.


The Witch est tout simplement une ode au Mal, un film nihiliste au possible où tous les personnages sont irrémédiablement attirés par le vice et la contestation de préceptes inculqués très tôt. Mais ce Mal qui règne tout le long du film, Robert Eggers tente de le comprendre et de l’expliquer. Car The Witch évoque évidemment sans détour le satanisme et les êtres pervertis que sont les sorcières, ce à quoi on peut lui rajouter une réflexion profondément féministe. L’aînée de la famille, responsable des enfants et des tâches ménagères doit partager sa situation de « femme au foyer » avec la découverte de son corps (et donc de son ouverture au monde dans une séquence finale bouleversante) dans une famille puritaine. De par son statut et le mépris que les membres de sa famille lui vouent, elle n’est jamais considérée à sa juste valeur et par son esprit de révolte, elle devient un fardeau pour la famille. Dès lors qu’elle tente de se libérer de l’emprise familiale, elle est perçue comme une sorcière dans une société du XVIIème siècle absolument pas prête à donner du poids aux femmes. Au final, la sorcellerie devient un échappatoire pour cette jeune femme brisée par une société patriarcale et figée, incapable d’évoluer. Alors que les femmes semblent renaître et s’envoler vers les cieux dans une séquence finale magnifique, The Witch est donc un formidable brûlot féministe d’épouvante qui interroge notre époque et répond à sa manière aux doutes sur l’existence ou non de la sorcellerie. Tout simplement sublime. Tout ce qui entoure cette représentation de la sorcière est soulignée, magnifiée par une photographie aussi crasseuse que brumeuse, froide et anxiogène où le Mal peut aussi bien prendre la forme d’un chaperon rouge que d’un bouc. Un sens du cadre maîtrisé, aidé par une lumière sublime qui participe à l’ambiance moyenâgeuse de ce premier long métrage.


Si le rythme lancinant pourra en rebuter certains, le dernier quart du film voit la tension s’accentuer dans un climax final tétanisant qui marquera durablement les esprits. Maîtrisé, troublant et doté d’une réflexion subtile sur les croyances, The Witch est un film qui aura bien mérité sa réputation dithyrambique et se pose comme la révélation fantastique de cette année. Pas étonnant que certains critiques le considèrent déjà comme le plus grand film d’horreur de la décennie. On va très vite réentendre parler de Robert Eggers, car aucun autre film ne semble pouvoir atteindre l’aura de ce premier long métrage à l’angoisse jamais vue et qui ne joue dans aucune autre catégorie cette année.


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le 11 avr. 2016

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Kévin List

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