Le réalisateur du sublime May revenait en force en 2011, cinq ans après la déception de son second film The woods. Pour ce nouveau film Lucky McKee s'associait à l'auteur Jack Ketchum responsable entre autres choses du traumatisant The Girl Next Door. The woman est un film qui lors de sa sortie se trimballait une réputation assez sulfureuse essentiellement due à sa présentation mouvementée à Sundance, un festival dans lequel les spectateurs ne sont pas forcément habitués à ce type de spectacle déviant. Car objectivement et rétrospectivement The Woman n'a pas de quoi susciter effroi et polémique plus que de raison même si le film flirte parfois avec une ambiance oppressante et insupportable.
The Woman raconte l'histoire d'un brave père de famille traditionaliste qui entreprends avec l'aide de sa femme et de ses enfants de civiliser une jeune femme sauvage après l'avoir capturée dans les bois et enfermée dans sa cave.
On retrouve dans The Woman de nombreux points communs avec le film The Girl Next Door de Gregory Wilson lui même adapté de Jack Ketchum, on replonge une nouvelle fois dans une famille qui pratique une violence institutionnalisée par les préceptes idéologiques d'un puissant chef de famille et qui va se cristalliser sur une pauvre victime afin de soit disant la sauver d'elle même. La fragile et inoffensive jeune fille de The Girl Next Door est ici remplacée par une jeune femme bien plus dangereuse et sauvage . Ce chef de famille, interprété par Sean Bridgers, est à première vue un homme aimable sous bien des apparences, père de famille, petit fonctionnaire à la bonhomie sympathique en toutes circonstances. Mais sous le vernis de le respectabilité se cache un monstre de machisme, de misogynie et de violence ordinaire. Le film de Lucky McKee est avant toutes autres choses une puissante et féroce charge contre le machisme ordinaire d'une société patriarcale dans laquelle les femmes doivent être des mères serviles, des servantes obéissantes, des secrétaires dévouées et des objets sexuels. Si The Woman ne fait pas toujours dans la dentelle dans la caractérisation de ses personnages il peut aussi se regarder sous le prisme d'une fable noire accentuant le trait pour mieux en révéler sa morale. Pour ce père de famille la civilisation d'une femme libre et indépendante passe logiquement par la domestication et l'asservissement total de son corps et son esprit.
Autour de ce gros con bien ordinaire gravite des personnages féminins forcément très en retrait qui vont se révéler être le plus souvent particulièrement touchant comme cette mère de famille à la fois en révolte et tristement prisonnière de sa condition de femme battue interprétée par la sublime Angela Bettis qui retrouve donc Lucky McKee pour la troisième fois. Difficile également de ne pas se prendre d'affection et de tendresse pour la fille ainée de la famille, interprétée par Lauren Ashley Carter, brisée par la crainte de son propre père violent et sans doute incestueux qui traverse le film avec la timidité et la fragilité d'un animal apeuré. Quant à la petit fille qui complète cette famille, elle incarne une forme d'innocence et d'espoir possible face à deux modèles féminins déjà brisée par la violence des hommes. Dans un rôle bien plus abrupt et physique il faut bien sûr saluer la formidable performance de Pollyana McIntosh en sauvageonne dont les regards de rage, de désespoir, de tristesse, de douleur et de peurs en disent bien plus que de nombreux discours.
Après une mise en place un peu bancal et pas toujours très heureuse dans ces choix de mise en scène, The woman va monter crescendo dans une tension et une violence psychologique qui, sans atteindre les sommets de noirceur de The Girl Next Door , flirte une nouvelle fois avec le malaise le plus profond. On est parfois révolté et mal à l'aise devant cette violence quotidienne bien trop ordinaire perpétué au nom de la bonne conduite par un homme d'autant plus abject qu'il transmet sa haine et sa conception nauséabonde des devoirs féminins à son jeune fils qui est pour le coup une monstrueuse et véritable tête à claques. Le machisme institutionnalisé par nos pères allant jusqu'à justifié le viol, telle une tradition ancestrale ressemble du coup à une bien triste connerie héréditaire. Le film avance ainsi tissant une symbolique autour de ces questions de machisme qui se transmet de générations en générations , de femmes asservies tentant de se libérer par la colère et la parole ou par l'éducation avec cette prof (Même si le personnage n'est pas très réussie) qui viendra jusque dans le foyer tenter d'extirper l'adolescente de son bourreau. Le final monstrueusement gore et du coup presque trop exubérant, ne sera toutefois que le reflet psychologique et très symbolique d'une condition féminine brisée se libérant enfin avec violence d'un immonde machisme qui la maintien prisonnière et humiliée en faisant ressurgir des profondeurs de son âme meurtrie ses instincts les plus bestiaux. Lorsque une minorité asservie, battue, humiliée, réduite à une forme d'esclavage brise ses chaînes elle ne vient généralement pas avec des bouquets de fleurs remercier ses bourreaux et surtout elle donne le gout du sang au générations futures à l'image de cette très jolie scène montrant la sauvageonne faisant sucer son doigt ensanglanté à la petite fille avant de l'emmener avec elle.
The Woman est un très bon film, intense, douloureux, dramatique et parfois outrancier mais qui sonne comme un violent et salutaire coup de mâchoire enragée pour arracher les couilles d'une misogynie et d'un machisme ordinaire. J'oublierai bien volontiers les nombreux défauts du film pour ne garder que l'essentiel à savoir que The Woman est un grand film d'horreur en colère et que ça fait du bien. Je ne saurai que conseiller aux spectateurs de regarder le film jusqu'au bout du bout afin de profiter d'une scène post générique à la fois étrange, poétique et onirique qui vient apaiser son épilogue plus rentre dedans.