The World of Kanako par Gilles Da Costa
"Shock Therapy Entertainment". Ce slogan racoleur très "Sam Fulleresque", accompagnant la sortie de The World of Kanako au japon, est parfaitement adapté à la nature volontairement outrancière de ce nouveau Tetsuya Nakashima. Car dans ce film, tout semble exagéré, amplifié à l’extrême, pour entraîner le spectateur dans une chute libre aux confins de la psyché fragmentée de son héros Fujishima (Kōji Yakusho, parfait en mode Bad Lieutenant).
Une fragmentation que l'on retrouve dans un montage kaléidoscopique virtuose, faisant s'entrechoquer passé et présent dans un maelström narratif quasi organique, reflet parfait du conflit interne accablant un père à la dérive, rongé par la culpabilité.
Comme à son habitude, Tetsuya Nakashima fait ici preuve d'une inventivité extraordinaire et propose encore une fois une mise en scène enlevée, flamboyante, unique liant agglomérant des éléments pouvant sembler disparates. Ainsi, cette vision forte et cohésive, parvient à former un tout harmonieux, traversé par des éclats d'excentricité tels des scènes animées (sublime boulot des Studio 4°C, supervisé par le génial Shinya Ohira), des passages clipesques aux couleurs acidulées ou encore des habillages graphiques pop ponctuant certains accès de violence.
Ce gout de la dissonance, de l'instabilité, est certainement ce qui représente la véritable identité de cet impressionnant The World of Kanako. On y retrouve ce gout japonais pour le drama, l'hyperviolence d'un Takashi Miike, la sexualité déviante d'un Sono Sion, les envolées comiques d'un Hitoshi matsumoto, l'approche polar Hardboiled d'un Kinji Fukasaku. Le tout combiné sous la forme d'un uppercut cinématographique qui, selon les goûts, fascinera ou fatiguera.
Mais impossible de ne pas reconnaître la générosité d'un film d'une telle densité, d'ignorer la capacité incroyable de Nakashima à proposer de nouvelles idées à chaque plan pour dessiner au mieux l'odyssée anarchique d'un anti-héros éminemment antipathique. Une superbe enflure, loser magnifique, s'humanisant à mesure que le film progresse et dont on suit pourtant les mésaventures avec plaisir, curieux de découvrir le fin mot d'une enquête labyrinthique s’évertuant à briser consciencieusement l'image de l'adolescente japonaise en socquettes bien sous tous rapports.
Décadent, amoral, transgressif, The World of Kanako a mauvais genre et assume totalement sa posture post-punk "in your face". Il représente en ce sens une sorte de culmination du thriller japonais moderne à tendance mélodramatique et repousse les limites thématiques et formelles du genre, comme pour en proposer une relecture définitive dont aucun réalisateur ne pourra jamais égaler l'intensité. A voir absolument.