Reprendre et amplifier : tel semble être le mot d’ordre que se donne James Gray pour aborder son deuxième film. Bien des éléments de Little Odessa se retrouvent en effet dans The Yards : un rapport fraternel et initiatique (même sans lien du sang), une famille aussi protectrice que toxique, et un goût prononcé pour la tragédie.
La même modestie du personnage infuse l’exposition de l’intrigue. Leo (Mark Wahlberg, tout en subtilité) cherche une place dans une famille qui fonctionne très bien sans lui. Dans cette nuit constante, rythmée par des coupures d’électricité, il est celui qui sort de cellule et auquel on refuse la lumière, condamné à bredouiller en arrière-plan : le second couteau, le témoin, l’observateur, l’amoureux éconduit. Et lorsqu’on lui attribue le premier rôle, c’est pour lui faire porter le chapeau de l’ennemi public.
Ce premier équilibre fonctionne parfaitement, notamment autour de l’incandescent Joaquin Phoenix qui fait ici son entrée dans le cinéma de Gray et d’un James Caan qui semble prendre sa revanche sur le second rôle qu’il avait dans le Parrain en s’installant avec poids dans le fauteuil du patriarche. C’est d’ailleurs notamment par ce rôle que se joue l’amplification : le milieu du crime organisé, ainsi que la romance contrariée de Leo et sa cousine indiquent une ambition plus grande du cinéaste, au risque de certains excès. Certes, la complicité meurtrie entre les frères ennemis peut donner lieu à de belles scènes, comme cette bagarre de nuit entre eux, mais le triangle amoureux n’est pas toujours très juste, et les extrémités auxquelles le récit les mène inutilement romanesques.
La mort d’Erica (qui par ailleurs se retrouve dans une position quasi identique à Alla dans Little Odessa, la jambe à l’envers, statue déformée par le drame) ou l’entrée fracassante de Leo dans un coup de théâtre assez classique entachent un peu la subtilité des débuts.
L’ambiance reste néanmoins prenante, la direction d’acteur efficace et l’ensemble convaincant, notamment dans ce regard toujours pertinent sur l’urbanité souillée par le crime, à l’image de ces aiguillages qui inaugurent le film : une fascination pour le récit et ses méandres qui ne cessera jamais de motiver la filmographie de James Gray.
(6.5/10)
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