Fresque de tous les diables sur l'Amérique du début du siècle, sur le capitalisme, le consumérisme et les valeurs bafouées de l'être humain, There Will Be Blood peut paraître comme une nouvelle couleur disposée sur la palette de Paul Thomas Anderson. Toujours amateur d'histoires profondément humaines, de tragédies violentes et d'évolutions psychologiques, le réalisateur du drame choral Magnolia et de la comédie romantique Punch-Drunk Love s'inspire ici vaguement d'un vieux roman d'Upton Sinclair pour proposer une épopée californienne terrassante...
En narrant un pan de la vie de Daniel Plainview, Anderson redéfinit l'anti-héros, le vrai anti-héros au sens propre, questionnant par la même occasion nos sens moraux et notre point de vue sur la notion du bien et du mal, sur notre foi, sur nos valeurs. Daniel Plainview est un pétrolier forcené, téméraire, égoïste, paranoïaque, orgueilleux, bonimenteur, odieux, détestable, un faux-père de famille plus soucieux de la découverte d'un gisement que de son propre enfant au même moment mutilé à vie, un fils de pute dont on souhaiterait la mort pendant chacune des scènes qui composent les quelques 150 minutes du métrage.
Quasiment omniprésent sur tous les plans, Daniel Plainview est incarné par un Daniel Day-Lewis comme d'ordinaire habité, colérique, imprévisible, l'acteur aux méthodes de l'Actors Studio livrant ici une de ses plus impressionnantes prestations, dévorant l'écran comme rarement il a pu le faire. Outre une histoire aux allures de maelstrom, happant sans vergogne et ne laissant pas indemne, c'est la mise en scène d'un Anderson plus que jamais inspiré qui nous frappe : travelings majestueux, caméra sans cesse en mouvement, plans filmés comme des peintures, utilisation à bon escient de l'écrasante musique de Jonny Greenwood, photographie éblouissante signée quant à elle Robert Elswit...
Il y a du Leone dans There Will Be Blood, du Coppola, du Malick, du Cimino, sans pour autant que le film soit référencé, loin de là. Hypnotisant, ampli de fureur et de relativisme, à peine entiché de menus défauts (ce frère jumeau très mal exploité, le léger manque de réalisme concernant les 30 années défilant face caméra, le jeu un brin énervant du pleurnichard Paul Dano), le long-métrage reste un chef-d'œuvre d'une puissance évocatrice de bien des maux aujourd'hui encore évidents d'une société à jamais décadente, insatisfaite et envieuse. Du grand, du très grand cinéma.