On peut s'attendre à bien des choses au résumé de ce film. Le biopic d'un self-made-man, l'exploration des racines du capitalisme aveugle, la peinture de l'histoire de l'Amérique en marche, amorçant son virage de sa période "far-west" à l'ère moderne, industrialisation de masse et technologies en développement...
Oh oui, on peut s'attendre à beaucoup de choses, mais sans doute pas à cela.
Le début vous plonge dans une atmosphère unique, du cinéma presque muet, elliptique tout en étant contemplatif, à la photographie à tomber par terre (une esthétique et un professionnalisme technique qui se retrouvera du premier au dernier plan du film), à la musique particulière, angoissante (le Lux Aeterna de Ligeti qui orne certains plans du "2001..." de Kubrick n'est pas loin). Tout est suggéré, esquissé, parfaite introduction d'un film à part, où le scénario s'attache rarement à ce que l'on s'attend apprendre ou voir développer, et où il nous égare souvent. Une habile succession de scènes fortes, de noires passions, de névroses, de tragédies, d'enjeux forts et de cruautés. Enjeux forts et cruauté qui sont un tremplin pour les acteurs, une invitation à ouvrir grand l'éventail des sentiments et des obsessions humaines, à explorer une galerie de personnages fouillés.
Daniel Day-Lewis est proprement hallucinant, comment ne pas le souligner encore. Une attraction à lui seul, un monument de jeu.
Cette course au profit généré par l'or noir, convoité par un obséquieux et flippant prêtre d'une église au fondamentalisme déviant ou par d'envieux entrepreneurs, déroule sa triste litanie de magouilles et de caractères brisés dans son splendide écrin technique, (tant de plans parfaits que je ne m'attarde même pas à en citer) et je me disais avoir sous les yeux un bon film qui s'acheminait vers sa conclusion. Une conclusion dont je ne parvenais cependant à deviner ni la forme ni le contenu.
Et alors le film a pris une ampleur le hissant au-dessus du simple "bon film". L'ambiance s'assombrit quelque peu à nouveau, et nous mène au plus improbable des face-à-face. Du grand art de dialogues, d'acting, un outrepassement maîtrisé des règles de récit établies jusqu'ici, un moment inoubliable, du grand cinéma. Cela m'a d'ailleurs évoqué à nouveau Kubrick dans ses derniers instants quasi-surréalistes.
Et m'a laissé par terre...