Prenant place dans une ville portuaire de Grande-Bretagne, ‘’Thomas & Friends : Tales of the Brave’’ est la chronique du quotidien d’un milieu ouvrier en difficulté, frappé de plein fouet par le déclin industriel. Dans la ligné des films de Ken Loach, et d’une certaine culture du cinéma ‘’ouvrier’’ made in U.K, le film de Rob Silvestri se présente comme le cri du cœur d’une population, en première ligne face à la reconversion industrielle, et des drames qu’elle engendre.
Thomas est une locomotive chargé de transporter des matières premières, des chantiers aux navires. Entourés de ses amis, une certaine monotonie, teintée de fatalisme, joue sa partition quotidienne. Jusqu’au jour où ils découvrent une empreinte monstrueuse dans une pierre. Percy, une jeune locomotive, s’obsède de cette découverte, au point d’en devenir paranoïaque. La qualité de son travail décline alors, face à ses doutes, ses craintes et ses peurs.
Grace à l’aide d’une vieille locomotive, sur la point d’être remplacé, Percy apprend le courage, et le rôle indispensable de chacun dans l’existence. En effet, sans lui le chantier ne peut plus avancer, car comme les autres locomotives, il est un rouage inaltérable de la production. Pr le biais d’une profonde déclinaison de la thématique générationnelle, il apprend à travailler en osmose avec toutes les locomotives du port, s’associant même aux grues, des engins d’une autre caste.
Avec une dimension empruntée au drame shakespearien, ‘’Tales of the Brave’’ se présente comme l’aboutissement d’une réflexion plongeante au plus profond de la psyché des locomotives. Là où réside les instincts les plus primaires d’une machine dotée de vie. La peur est certes un moteur du récit, mais ce dernier brasse également des thématiques très diverse comme la solidarité, le deuil, l’acceptation de soi, l’amitié, l’amour, ou encore la compassion.
Œuvre d’une richesse inouïe, elle s’adresse aux petits, mais aussi aux grands. Avec une animation époustouflante, qui peut aisément faire du tort à l’hégémonie Pixar, son tour de force réside surtout dans sa capacité à outrepasser son intrigue principale. La découverte de l’empreinte de dinosaure, permet surtout de porter des problématiques fortes au-delà du simple travail des locomotives. Transcendant ce dernier pour toucher le cœur de son propos.
Thomas, locomotive au grand cœur, guide Percy dans son parcours initiatique, qui s’achève lors d’une séquence déchirante, pleine d’une humanité que seule la métaphore ferroviaire pouvait magnifier. Car c’est delà même de l’amitié que tout se joue, puisqu’au départ les locomotives ne sont en fait que des collègues de boulot. Or, à mesure que le métrage avance, c’est la nature familiale de leur condition, et donc de leurs relations, qui apparaît au grand jour.
Les locomotives forment un ensemble inaltérable et homogène, soudé pour pouvoir s’épauler, dans une expression des plus touchante de la solidarité de classe. Car ‘’Tales of the Brave’’ c’est avant tout une analogie terriblement intelligente de la lutte ouvrière. Face à un capitalisme sauvage qui remplace tout objet obsolète, sans vergogne, les locomotives qui ont fait leur temps sont mise à la retraire. Arrachée à leur milieu, à leurs amis, au nom d’un profit devenu assassin. Une vieille locomotive est coûteuse, car elle demande plus d’entretien.
Ceci promet une séquence absolument déchirante, qui convoque le drame avec une maestria à faire pâlir les Frères Dardennes. Par une leçon de cinéma venant rappeler que le septième art peut aussi servir d’arme sociale, pour pointer du doigt ce qui se joue au quotidien chez les derniers de cordés. Ici les locomotives face à une émancipation sociale qui passe par le travail. Mais dont la reconnaissance est mise au ban de la société dès qu’elle ne sont plus efficientes.
‘’Tales of the Brave’’ n’est pas une œuvre à mettre devant tous les yeux, car elle peut secouer par une dureté des plus crue. Mais elle apparaît d’une importance capitale, dans sa manière d’aborder une certaine réalité sociale et ouvrière. En évitant habilement de sombrer dans le misérabilisme de base, pour trouver une juste partition, utile ce conte existentielle sur le quotidien difficile des locomotives.
Le film n’en oublie pas pour autant de saupoudrer l’ensemble d’un certain humour, car la tragédie ferroviaire qui se joue est finalement à l’image de la vie : ni toute blanche, ni toute noire. Il n’est point ici de manichéisme facile, qui aurait pu faire plonger le métrage dans un tableau purement dépressif.
Non, tout au contraire. Il en ressort une tragi-comédie de haut niveau, rivalisant aisément avec un cinéma social dont les britannique se sont fait les ambassadeurs depuis maintenant quelques décennies, de ‘’Brassed Off’’, à ‘’The Full Monty’’ en passant par ‘’My Name is Joe’’, ou plus récemment ‘’I, Daniel Blake’’.
C’est donc fièrement, et tout à fait légitimement, que ‘’Thomas and Friend : Tales of the Brave’’ peut se placer au cœur de cet héritage culturel d’un cinéma de prolétaire. Tout en étant une œuvre coup de poing, forte et importante, qui six ans après sa sortie n’a trouvé que très peu d’équivalents. Un must to see.
-Stork._
Poisson d'avril !!