Six ans après la grande réussite Mange tes morts : tu ne diras point, le cinéaste Jean-Charles Hue revient au cinéma avec Tijuana Bible, une quête de rédemption dans les rues dangereuses de la ville mexicaine.
Welcome to Tijuana
Un cinéma qui questionne la violence du monde, également empreint de spiritualité et de mysticisme, c’est à cela que l’on pourrait peut-être définir le cinéma de Jean-Charles Hue depuis ses débuts. Avant Tijuana Bible, ses deux premiers longs-métrages (La BM du Seigneur et Manges tes Morts) posaient leurs regards sur la famille Dorkel, des gens du voyage de la communauté yéniche. Il y développait un traitement quasi-documentaire, où réalité et fiction s’entremêlaient brillamment, avec une audace narrative revigorante et un regard neuf. Cette fois, le réalisateur français pose ses caméras de l’autre côté de l’Atlantique. À Tijuana, une ville mexicaine connue pour être l’une des plus dangereuses du monde, à cause de la présence des cartels et des différentes guerres de gangs, qu’il a découverte il y a une douzaine d’années :
J’y ai d’abord filmé des portraits. J’ai tourné là-bas Carne viva en 2009 qui est en fait mon premier véritable long métrage. Je n’ai pas cessé d’y retourner depuis. J’y ai fait cinq films, des courts-métrages documentaires. Mais malgré sa situation géographique différente, il s’inscrit pour moi dans la même continuité que mes deux films précédents tournés dans le monde voyageur. Ils sont tous les témoignages d’une expérience humaine et cinématographique ainsi que quelques pages arrachées au journal intime de ma propre vie.
Dans Tijuana Bible, nous suivons Nick (Paul Anderson), un vétéran américain blessé en Irak, perdu dans les méandres des rues périlleuses de la ville et tombé dans la déchéance de la drogue afin d’oublier un passé violent. En introduction, toute la brutalité du monde s’exprime. Sous le soleil écrasant de la frontière mexicaine, Nick poignarde sauvagement un chien errant, prit au piège. Le décor est planté. Dès les premières séquences, on retrouve toutes les obsessions du cinéma-vérité qui font le sel de son cinéma, considéré comme bible par certains courants de cinéastes dont fait partie Jean-Charles Hue. Il y a ce souci du détail, de rendre une véritable authenticité aux visages et aux corps que la caméra met en lumière. Ici, tout transpire la justesse. Question scénario aussi, puisque toutes les histoires, même les plus incroyables, relèvent de la réalité, d’histoires contées ou d’expériences vécues.
Terre de désolation
Une souffrance qui trouve magnifiquement refuge dans le corps squelettique du rouquin Paul Anderson, plus connue sous les traits d’Arthur Shelby dans la série britannique Peaky Blinders. À l’image de sa peau blanchâtre et tachetée, le film développe un travail intéressant sur les couleurs, aux blancs très saturés, pour rendre palpable la chaleur étouffante qui s’abat sur la ville mexicaine, comme si elle vous brûlait la peau. Tijuana est une terre de désolation et d’errance pour les âmes perdues et les tonalités de couleurs. Distinguer la nuit du jour devient difficile tant le temps semble figé. L’acteur principal, lui, offre une nouvelle partition solide, dans un film à l’impact international très limité. Une prise de risque qu’il est important de saluer.
Son personnage va trouver un chemin de rédemption grâce à la rencontre d'Ana (Adriana Paz), à la recherche de son frère, un ancien soldat disparu dans la ville. Dans cette quête de réalisme, ce qu’il y a de beau et salutaire dans la démarche de Jean-Charles Hue, c’est ce désir et cette volonté de rétablir de l’humanité, là où elle semble s’être évaporée. De retrouver un salut, de réparer les âmes les plus abîmées. En cela, la trajectoire de Nick est magnifique, bien qu’éculée à de maintes reprises au cinéma.
Mystique qui patine
Cependant, le cinéma de Jean-Charles Hue ne trouve pas la force et le souffle de ses deux précédents films. La recherche de l’authenticité se heurtant aux quelques facilités scénaristiques, à certains raccourcis, mais aussi à une fiction plus présente. Elle prend en otage ce qui faisait la spontanéité de son cinéma. Une fois les enjeux narratifs posés, le film patine, à l’image de ses personnages englués dans cette terre tijuanaise. La part mystique trouve, quelques fois, un terrain de jeu propice dans les images du cinéaste. Il y a de très belles séquences mais elles peinent souvent à s’exprimer pleinement dans cette histoire de rédemption. Topo, narcotrafiquant incarné par Noé Hernandez, au regard perçant et à la gueule terrifiante reste, lui aussi, engoncé dans un rôle trop caricatural pour paraître effrayant.
Dans cette ville hostile, Jean-Charles Hue parvient à magnifier des corps en perdition. Ils trouvent alors un dernier salut pour sauver leur âme. Remplie de qualités formelles et thématiques, Tijuana Bible n’atteint pas la grâce et la force de ses deux premiers films. Mais il reste une proposition de cinéma pertinente.
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