Au départ, vas-y, avoue, t’es allé voir Tijuana Bible uniquement pour Paul Anderson, pour voir de quoi il est capable en dehors de la série Peaky blinders. Anderson, c’est le grand frère Shelby, c’est Arthur, c’est l’écorché vif, le gueulard, le violent. On met trop souvent en avant Cillian Murphy quand on parle de Peaky blinders, alors qu’Anderson mérite tout autant sa part de lauriers. Avec son allure de grand échalas malhabile, sa voix de cendrier pas vidé et son regard illuminé, Anderson fascine, il en impose. Jean-Charles Hue, visiblement fasciné lui aussi («Paul avait ce côté un peu maladif, juste ce qu’il fallait pour être crédible, avec une présence incroyable. Il est très photogénique.»), lui a donc filé le rôle principal de son nouveau film.
Pour l’occasion, Anderson est encore plus décharné que d’habitude, genre chat de gouttière hirsute qui n’aurait pas mangé depuis des semaines. Hue l’a jeté en pâture dans les rues de Tijuana puis l’a filmé dans le rôle d’un ex marine junkie traumatisé par la guerre, rôle qui, évidemment, lui va comme un gant. Sa rencontre avec Ana, qu’il va aider dans la recherche de son frère disparu, importe peu finalement : le film vaut surtout pour la prestation fiévreuse d’Anderson et la vision sans concession de Tijuana, lieu de perdition par excellence («Une poubelle géante en putréfaction», dira l’un des personnages du film) rempli de camés, de putes, de clandestins, d’émigrés, d’immigrés et de gangs ultra tatoués. Et accessoirement l’une des villes les plus dangereuses du monde avec Ciudad Juárez (aperçue lors d’une séquence mémorable dans Sicario).
Hue semble lui aussi se contrefoutre de son histoire de rédemption emprunte de mysticisme, visiblement plus emballé à observer, dans un style quasi documentaire, la misère au soleil, Anderson en train de se shooter dans un trou à rat, avachi dans un caniveau ou errant tel un zombie dans la poussière, et d’en tirer une certaine poésie de la déchéance, un souffle du sordide, quelque part entre un Burroughs et un Selby qui feraient un bad trip à TJ. D’ou ce sentiment de fil narratif qui patine et qui s’embrouille (le film alterne maladroitement, et sans réelle structure, scènes de défonce, de discussion, scènes réalistes, explicatives ou sensorielles), de personnages mal développés (Ana) ou parfois à la limite du manichéisme (le chef de gang Topo), et d’un film qui se casse souvent la gueule, mais parvenant toujours à se relever, du mieux qu’il peut.
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