Pas le droit aux cigarettes, pas le droit d’écouter de la musique, pas le droit de jouer au foot, de chanter, de traîner dans la rue, et les femmes doivent porter des gants, se couvrir les chevilles, et les hommes doivent remonter le bas de leur pantalon, et les filles sont mariées de force… Des simulacres de tribunaux jugent et punissent chaque jour par omission, par coups de fouet, par lapidation, par pendaison… Une emprise, c’est une histoire d’emprise. L’emprise djihadiste qui s’abat soudain sur ces campagnes et ces villages autour de Tombouctou, et qu’Abderrahmane Sissako observe et dénonce sans rage ni violence, mais avec une sereine opiniâtreté. Dire, rejeter, hurler cette radicalisation de l’Islam qui interdit, qui statue et qui tue au nom de Dieu, comme un prétexte à la bêtise et à la barbarie.
Plusieurs histoires s’entrecroisent pour décrire le quotidien d’un village et ses environs sous le joug de fanatiques qui rôdent, qui ordonnent et qui oppriment, assujettis eux-mêmes à un système de valeurs liberticides flirtant avec l’absurde. Timbuktu se montre tour à tour passionnant, déchirant, touchant même, mais le semblant d’intrigue (un berger tue un pêcheur qui a tué l’une de ses vaches) que Sissako amorce vient gêner la simple observation (et une réflexion au présent sur l’ascendance de l’État islamique) de ce village profané par la tyrannie d’une religion dont les préceptes ont été détournés, exacerbés. Le film est humble, il est sincère, nécessaire évidemment, mais maladroit aussi (la fin, trop empruntée), inégal, manichéen parfois dans le développement "inventorié" de certaines situations (permettant néanmoins de saisir toute la latitude du fléau).
Au-delà de l’horreur suggérée, montrée quelques fois, Sissako révèle un monde parvenant à éblouir encore de sa beauté, à exprimer sa liberté. Des dunes ocres et beiges, des maisons en terre séchée, cet homme amoureux, cette femme qui chante, cet homme qui danse, les reflets du soleil dans l’eau d’un fleuve, l’harmonie tranquille d’un couple berbère et de leur fille, le mélange étonnant des communautés et des langues, comme une renaissance de Babel… Mais que peut aujourd’hui cette beauté, que peuvent ces évidences poétiques ? Que peuvent encore ces femmes et ces hommes, démunis et fragiles face à l’aveuglement religieux, sinon leur foi comme volonté et leur simple humanité comme acte de résistance, dérisoire ?