Timbuktu : une poésie terrifiante sur le monde
Timbuktu est un des films présentés en compétition officielle au dernier festival de Cannes dont on a peu parlé. Un long-métrage quasi documentaire, qui retrace l’occupation du nord du Mali par des djihadistes en 2012. Une fiction poétique et politique réalisée par le Mauritanien, Abderrahamane Sissako, injustement reparti bredouille de la Croisette.
Né d’un faits divers, la lapidation d’un couple dans le nord du Mali, Timbuktu est un de ces films investis d’une mission ; montrer ce qui passe inaperçue. Une population prise en otage ; des hommes, des femmes, des enfants opprimés, humiliés, captifs, dans un village dirigé par les extrémistes où les interdictions se multiplient. Interdiction de jouer au football, de fumer, de chanter ou d’écouter de la musique, interdiction de trainer dans les rues …
Tour à tour émouvant, brutal, étonnant sans jamais tomber dans le spectaculaire ou les clichés. L’histoire se contente de nous porter lentement à travers des paysages (le soleil couchant sur le fleuve Niger, les dunes de sables chaudes), des personnages (un berger et sa famille qui se sont installés à l’écart du village pour échapper à l’emprise djihadistes, une sorcière qui erre dans les rues un coq perché sur son épaule). Abderrahmane nous ravit d’une belle mise en scène, tout en pudeur, variant plans larges et gros plans qui donnent à ses propos toutes leurs intensités.
Mais derrière cette beauté il y a la terreur. La terreur d’une population perpétuellement menacée, comme cette femme forcée à porter des gants pour vendre son poisson sur le marché ou cet homme à qui l’on oblige de retrousser son pantalon. Les mariages forcés, les coups de fouets et les lapidations, autant de scènes filmées représentant le terrible quotidien de ces habitants. Il y a cette jeune fille qui pleure, promise à un homme dont elle ne veut pas, il y a cette femme qui hurle sous les coups pour avoir chanter la nuit dernière et puis ce berger, Kidane, dont on suit le chemin jusqu'à sa mort, scène finale du film.
Un sujet violent abordé non sans humour par le réalisateur. On se surprend parfois à rire de l’absurdité de certaines situations (les cours de conduites improvisés entre deux djihadistes par exemple). C’est globalement la représentation de ces djihadistes comme des hommes aveuglés par la foi qui nous prête à sourire, eux-mêmes n’étant pas convaincus de leur propre engagement (scène du jeune devant la caméra). L’autre élément humoristique du film c’est l’omniprésence et la multitude des langues, qui vont créer des scènes de communications impossibles et ajouter un caractère ridicule aux échanges humains. Cependant malgré quelques pointes d’humour perçantes, Timbuktu demeure surtout un film révélateur, beau et nécessaire.