Cinq ans après avoir secoué les puces du cinéma français avec l’excellentissime Grave, œuvre messianique du film de genre hexagonal, Julia Ducournau revient lui rouler dessus avec son Titane. “Plus” violent, “plus” malsain, “plus” queer, “plus” halluciné, “plus” body horror, “plus” de tout en fait. Le film réussit haut la main l’objectif qu’il semble s’être donné de choquer son spectateur, mais est-ce pour autant qu’il marque durablement ?
Il est essentiel de peu en dire même si l’on meurt d’envie de lister tous les symboles qui viennent percer l’écran -et pas que. Nous dirons simplement que Titane parle d’Alexia, une jeune femme mécanophile (Agathe Rousselle) avec une plaque de métal dans la tête suite à un accident de voiture, et de Vincent (Vincent Lindon, totalement en dehors de sa zone de confort), chef d’un phalanstère de pompiers bodybuildés à deux pas d’un colonel Kurtz sous EPO. La première partie du film, bien énervée, se concentre sur son héroïne en convoquant autant Crash que Carpenter période Christine, puis le récit opère un beau virage à l’arrivée de Vincent. Il devient plus introspectif, presque freudien, avec de surprenantes pointes de mélancolie entre deux séquences choc à la Under the skin ou Tetsuo the iron man. L’ambiance des scènes entre le Titan et la Titane rappelle le cinéma de Fabrice du Welz, surtout Calvaire, quelque chose dans la capacité à la dissonance cognitive de son duo probablement.
Titane retient certains aspects de Grave, une héroïne qui se cherche, des personnages fouillés, un mélange entre une réalité traitée avec une ironie mordante et des éléments fantastiques très premier degré, mais s’en éloigne en proposant une folie bien plus dense cristallisée en une rêverie enfiévrée loin d’un scénario noyauté (les ellipses de Titane demandent au spectateur d’avaler de sacrées couleuvres). Malgré tout quelques reproches, le destin de notre héroïne se devine vite, le peu d’impact sur le récit des séquences ultraviolentes du début rendent finalement perplexe sur leur utilité (même si elles sont fun, ne le nions pas), la volonté de filmer la chair comme le métal et vice-versa nous donne un brillant plan séquence puis s’efface largement, ne se rappelant à notre bon souvenir que toutes les 15 minutes dans des séquences de body horror inventives mais bizarrement moins dans le thème que celles de Crash ou encore les meurtres de Stuntman Mike de Boulevard de la mort. Enfin la question du rapport au corps, exploré avec une certaine finesse dans Grave focalisé autour l’impact sur son héroïne du changement radical qu’elle subit, faisant presque penser à un coming-out dans la manière dont le sujet était abordé, m’a semblé moins intéressant dans Titane. Même si plus graphique (et j’en dis déjà trop), on s’attache peu à son héroïne qui se contente pour une bonne part de simplement dissimuler son état, de façon de moins en moins crédible d’ailleurs. Le fait que l’on ne sache pas clairement si l’action se passe sur 3 jours ou plusieurs mois n’aide pas non plus à bien cerner son évolution, et donc d’être pleinement empathique.
En synthèse, le vrai problème que j’ai eu avec Titane -qui est un excellent film pour public averti, je maintiens- est que ses scènes fonctionnent mieux isolément qu’ensemble. Travers que l’on retrouve dans The bad batch par exemple. En partant à fond la caisse dans toutes les directions en quête du plan qui marque la rétine au fer rouge, Titane envoie son équilibre dans le pare-brise.
S’il est indéniable qu’en tant que réalisatrice Julia Ducournau a développé une grammaire bien à elle, elle n’a pas ici trouvé une histoire tout à fait à la hauteur de ses ambitions.