Palme d'Or 2021, Titane de Julia Ducournau fit couler beaucoup d'encre à son sujet. Dès sa première projection à Cannes, les retours furent explosifs. Des malaises disait-on, des vomissements causés par le visionnage d'un film ! Un tel choc ne s'était pas produit depuis des années sur la Croisette. Des critiques à la fois destructrices et dithyrambiques naquirent de l'arrivée de Titane dans nos salles de cinéma...
Pour ma part, je vais me sentir obligé de spoiler de façon à développer une critique constructive et optimale. Au premier abord, l'œuvre est une expérience. Intense, magnétique, qui confronte les sentiments du spectateurs aux sensations vécus par les personnages sur scène. Rapidement, des images chocs apparaissent. Le corps humain est mis à rude épreuve : du métal injecté dans la tête, des cheveux coincé dans un piercing de téton, un cerveau percé par une aguille... Le corps se frotte à la matière étrangère. Et il ne suffira que d'une dizaine de minutes, pour poser une première question : Quelles sont les limites de l'humain ? Que lui arrive-t-il quand il se confond avec l'étranger ? Ces scènes parfois difficile à regarder, nous conduisent jusqu'à la ténébreuse et mystique scène de la voiture. Le corps de l'actrice principale (Agathe Roussel, indescriptible, ambiguë et dévouée physiquement) "entre" dans une rapport sexuel intense avec le véhicule. Et là c'est le grand flou. C'est en quelque sorte, l'apothéose que nous montre le film. Les cases conventionnelles de l'orientation sexuelle sont brisées. Ducournau nous donne ainsi le mot d'ordre de son film, en répondant à notre question : il n'y aura pas de limites.
Le long-métrage se construit sur une suite de situations qui amène les personnages à bouleverser, changer incessamment de point de vue sur leur sexualité. Car oui dans le fond, Titane parle véritablement de sexualité. Et ceci dans un jusqu'au-boutisme horrifique que (presque) personne n'avait osé entreprendre auparavant. Or pour autant, l'horreur est plutôt ambigüe ici. La réalisatrice ayant pour but de bousculer nos perspectives, certaines scènes pourront alors nous paraître affreuses, dégoûtantes, ou au contraire sublimes, sinon plus simplement déconcertantes.
Quand arrive le personnage de Vincent Lindon, c'est une autre thématique qui s'adjoint à celle de l'orientation sexuelle évoquée plus haut : l'expression de genre. Après avoir cassé les modèles d'attirance sexuelle humains, Ducournau se charge d'en finir avec les attitudes féminines et masculines. Ce personnage de père un "brin" perdu dans sa vie, poursuit malgré son âge l'idéal masculin, en s'injectant des doses d'hormones. Dans le "milieu pompier" où il travaille et dirige, le modèle masculin importe beaucoup. La réalisatrice en fait même un environnement symbole (à l'opposé du spectacle très féminin au début du film). On le remarquera notamment dans une des dernières scènes, où les soldats du feu festoient torse nus, laissant leur virilité et leur force éclater dans la joie. L'arrivée du personnage d'Alexia/Adrien, va changer ses convictions (celui-ci ayant pour but de questionner l'identité de genre). Suite à des séquences violentes, où elle se rend compte qu'elle n'est pas destinée à aimer sexuellement les êtres humains, Alexia se décide à tout quitter pour changer de genre et se confondre dans une nouvelle identité. La recueillant comme son fils disparu, le personnage de Vincent Lindon va l'initier aux "classiques" de l'homme dans le but de le rendre idéalement masculin. En s'y prêtant, Alexia devient véritablement Adrien, et la barrière des genre est brisée.
Ce qui est intéressant dans le fond, c'est l'évolution du père, qui finira par accepter qu'il n'existe pas de masculinité ni de féminité absolue grâce au personnage d'Alexia. Le bébé qu'il tient dans ses bras à la fin, n'est que la preuve de son accomplissement : l'acceptation d'un monstre qui ne rentre pas dans les cases. Comme l'être qui l'a mit au monde, destiné depuis tout petit à aimer les voitures suite à un accident ayant bouleversé sa sexualité. De cette façon, la réalisatrice nous montre aussi à quel point la sexualité est modulable selon les acquis et les croyances. Dans la scène où Adrien montre son talent de danseur sensuel aux pompiers, on perçoit une incompréhension chez ceux-là, comme si leur hétérosexualité apparente s'envolait face à la grâce féminine de cet individu androgyne. Par conséquent, tous les personnages subissent une remise question de leur sexualité, que ça soit par : l'expression de leur genre, l'orientation de leur désir, ou même (pour Alexia) leur identité. En procédant à cette "déconstruction", Julia Ducournau parvient au bout du chemin : offrir le non-sens à la sexualité de l'être humain.
Aussi hypnotisant que dérangeant, Titane révèle pourtant une vérité. Et si l'on parle beaucoup de film d'horreur, de thriller (ou tendrons-nous plutôt vers l'expérimental ?), pourquoi ne pas plutôt le voir comme l'histoire de deux marginaux, en panne d'amour ? Le cinéma nous renvoie à des émotions indicibles. Titane nous le rappelle, en ne se laissant pas classer. Et s'il est admirable qu'un film de genre aussi bien réalisé soit récompensé aujourd'hui, il est surtout important qu'une production pareille ait eu la chance d'éclore pour, comme le disait la réalisatrice :
"... Laisser entrer les monstres."
Dans une époque où les mœurs évoluent vite, ce bijou cinématographique n'est là que pour nous dévoiler la réalité de notre futur (science-fiction ?). Un monde où le corps se transforme, se développe en direction de nouvelles choses. Titane est aussi un film qui dénonce simplement les conventions sexuelles pour mettre en lumière ceux qui ne s'y retrouvent plus. Pour finir, il n'est pas de films durs, agressifs, repoussants qui existent sans fond et sans messages. Il faut voir l'horreur, ce que l'on ne connaît pas, comme la plus belle des opportunités. Alors, laissez vous embarquer, plonger dans l'horreur. C'est la beauté de l'inconnu...