Fidèle à ses obsessions, que l’on a peut-être trop vite jumelées avec celles de Cronenberg même si les parallèles sont faciles à faire, Julia Ducournau frappe un nouveau grand coup (encore plus médiatique cette fois en prime) avec Titane, et paradoxalement elle démontre déjà selon moi quelques faiblesses typiques des cinéastes “d’auteur mais de genre” (formule ridicule s’il en est).
Après le très bon Junior (2011) et le non moins excellent Grave (2016), Ducournau poursuit donc sa réflexion sur l’évolution des corps, sur la transgression, sur l’absolution des frontières à la fois physiques et morales. Tout est question de passage chez Ducournau, de l’enfance à l’adolescence, de la norme à sa vraie personnalité, et désormais d’un état humain à… autre chose. Oui, l’univers de Cronenberg est partout chez la cinéaste, mais Titane laisse aussi apparaître une admiration au moins égale à John Carpenter, entre les bagnoles libidineuses à la Christine et le slasher à la Halloween sans oublier, évidemment, cette idée d’un Mal absolu et de corps possédés, infectés et enfin évolués vers une nouvelle espèce pas totalement humaine. Ducournau arrive néanmoins à prouver qu’elle a digéré ses modèles en apportant ses réflexions personnelles, en brouillant les frontières entre eros et thanatos (formule suremployée mais totalement justifiée ici) mais aussi en allant plus loin encore dans son approche. On ne bouge plus les lignes, on brise carrément les cadres : plus d’homosexualité latente, c’est l’étape supérieure, la banalisation ou presque de l’amour libre, sans barrière morale ou physique cette fois.
Hélas ! A trop s’amuser avec ses outils merveilleux que sont Vincent Lindon devant et Ruben Impens derrière la caméra, Ducournau oublie un peu trop d’être rigoureuse par endroits, se paie un énorme kif visuel et délaisse son histoire, et au final se repose pas mal sur ses acquis, d’autant qu’ils sont suffisamment forts pour permettre un film de bonne facture. Tel les modèles précités, Ducournau reste en zone de confort la plupart du temps, tout comme son compositeur Jim Williams, et s’offre une jolie carte de visite supplémentaire après Grave, soulignant à quel point elle est prête à gérer un projet plus ambitieux encore que ce qu’on peut lui offrir pour le moment en France. Du coup le film est fort, percutant, mais la claque ne dure qu’un temps et j’avoue m’être surpris à me sentir un poil frustré de ne pas être plus emporté que ça dans le tourbillon cinématographique que la cinéaste est capable de créer.
Je suis donc impatient de voir son troisième long métrage, pour voir quel chemin la réalisatrice décide de prendre. En espérant ne pas devoir attendre 5 ans pour satisfaire ma curiosité.