Pour le grand public, le cinéma indien se résume un peu trop facilement à celui de Bollywood, passant souvent à côté de grands réalisateurs tels Satyajit Ray, Mira Nair ou encore Karan Johar pour qui l’Inde à l’écran réfute la romance, les paillettes et tout le tralala folklorique, offrant vision réaliste et sans condition d’un pays coincé entre coutumes et modernité. Kanu Behl, est derechef à classer parmi ceux-là, avec ce premier film intense et punchy. « Titli » nous délivre dans toute sa contemporanéité un portrait ultra sombre de cette société en mouvance permanente, où s’opposent, comme souvent dans les pays émergents, le peu de ceux qui réussissent et ceux qui restent ou resteront à jamais sur le carreau du dénuement, financier, moral ou intellectuel. Deux heures parfaitement équilibrées, au rythme implacable où nous suivons « Titli » littéralement à traduire par papillon. Cette parabole entomologique prend tout son sens ici, il est d’abord le lépidoptère tout droit sorti de sa chrysalide et voulant voler de ses propres ailes, puis le celui qui se claque contre l’ampoule et enfin se mute en araignée qui tisse sa toile. Ces trois plans en filigrane s’inscrivent dans l’avancée du récit où Titli deviendra oppresseur après avoir été l’oppressé. Aucune scène difficile ne nous est épargnée (certaines sont insoutenables), Behl se veut percutant et bouscule le spectateur. Cette immoralité permanente des personnages (les frères et le père, le flic véreux, l’ami opportuniste….), toute empreinte d’un réalisme qui pousse aux extrêmes n’est pas sans rappeler le cinéma italien des années 70, Titli est une espèce de « Affreux, sales et méchants », en plus grave et somme toute assez pessimiste. Cette longue mise en abîme de ce jeune homme, pourtant si sain, sera pour lui la planche glissante d’un salut inespéré, d’une prise de conscience tardive. Car « Titli » est avant tout un film où la moralité piétinée distille malgré tout ses vertus. Cette mécanique d’écriture à contrario est brillante, d’autant plus que la mise en scène est particulièrement soignée et efficace et les acteurs tous formidables. Il est également un film bien courageux où les thèmes de la place de la femme, l’homosexualité, la corruption, entre autre, sont abordés avec intelligence. « Titli, une chrnoique indienne » s’impose comme la belle et grande surprise de ce début d’année cinématographique 2015 bien mollasson !