Une belle réflexion sur la mise en scène
Dès le départ, le décor est planté : Rome, ses bâtiments somptueux, son histoire, son architecture, son trafic routier bordélique... Le tout orchestré par un agent de la sécurité qui trône sur son pivot au milieu d'une place où les motos et les voitures se côtoient en une joyeuse cacophonie. L'homme que l'on voit donne le ton d'emblée : il dirige, met en scène ce joyeux ballet de véhicules et de carambolages, et se vente d'être au centre de ce spectacle, d'être omniscient, omnipotent. Il est la figure du metteur en scène, que Woody Allen n'aura de cesse, dans son film, de représenter sous mille et une facettes. Métaphore filée par excellence à travers de multiples chemins narratifs qui mènent tous... à Rome !
Chacun des tableaux qui composent ce long métrage sont autant de manières de représenter au cinéma l'acte de mise en scène.
Les jeunes mariés fraîchement venus de leur campagne mettent en scène leur couple pour renvoyer une bonne image d'eux-mêmes auprès de leur famille. Après quoi, Penelope Cruz vient tout chambouler et son arrivée entraîne un second niveau de mise en scène : pour tenter de sauver la situation du naufrage, le jeune homme, qui se retrouve pris en flagrant délit de flirt avec cette call girl incendiaire, se transforme le temps d'une journée en metteur en scène, sommant la prostituée de jouer le rôle de sa femme. De l'autre côté de la ville, sa femme, elle, perdue dans un dédale de rues, tombe droit sur... un tournage de film ! Elle part alors vers de nouvelles aventures éphémères auprès d'un acteur ventripotent qui joue les tombeurs afin de séduire la petite oie blanche. Là encore, tout est soigneusement mis en scène pour que la jeune femme succombe à son "charme". Puis, ce sera au tour d'un voleur d'orchestrer à son tour la situation, et ainsi de suite.
Le segment avec Jesse Eisenberg, quant à lui, montre comment les actrices, aussi peu connues soient-elles, mettent tous leurs rapports humains en scène, sans laisser place au naturel une seconde. Le tout là encore orchestré par un Alec Baldwin surpuissant qui semble deviner la tournure des évènements avant même qu'ils ne se produisent, comme s'il détenait un scénario invisible entre ses mains. Pas étonnant que son personnage soit architecte : symbole de la construction, Baldwin construit et déconstruit l'intrigue à sa guise, comme le metteur en scène.
Roberto Benigni, lui, connaît du jour au lendemain une renommée orchestrée de toute pièce par l'appareil médiadico-journalistique (représenté par les fameux paparazzi, omniprésents), et sa vie finit par n'être plus qu'une vaste mise en scène. Idem, lorsque sa célébrité décline, le personnage, qui veut être reconnu à tout prix, se met alors lui-même en scène dans des situations cocasses en espérant attirer l'attention sur lui et goûter aux relents de sa célébrité révolue.
Enfin, Woody Allen se représente en quelque sorte dans son propre rôle au moyen d'une mise en abîme hilarante : metteur en scène d'opéra incompris, il rêve de réaliser enfin un grand spectacle à la mesure de son talent et décide de mettre en scène un ténor qui ne sait chanter que lorsqu'il est sous la douche ! En découle évidemment une suite de situations plus ou moins rocambolesques où le nouveau baryton se produit sur toutes les plus grandes scènes du monde... sous la douche ! Qui n'a jamais rêvé, en chantant sous la douche, d'être applaudi par une foule en liesse ?? Woody Allen met littéralement ce délire en image pour tourner en dérision cette course à la célébrité qu'il dénonce également dans son film, au même titre que le fantasme, la course à l'image et la constante représentation de soi dans cette société kleenex où la culture de l'apparence a depuis longtemps supplanté toutes les vraies valeurs.
Et où camper toutes ces histoires si ce n'est en Italie, patrie de la comedia dell'arte, où le théâtre est légion et où chaque habitant est un acteur dans l'âme ? Les italiens, leur science du scandale, leur sens aigu de la comédie et leur propension à faire des histoires à partir d'un rien, voilà le décor idéal pour ce film, dont le lieu même en sert et en incarne le propos à la perfection. Ce métafilm, beaucoup plus intelligent qu'il n'en a l'air, ne pouvait donc en aucun cas avoir lieu ailleurs qu'à Rome.