Le premier réflexe qui nous vient lorsque l'on finit cet uppercut massif qu'est Tokyo Fist, c'est de courir devant un miroir pour s'assurer qu'on ne s'est pas pris un vrai bourre pif au passage. L'intensité que parvient à délivrer Tsukamoto dans ce cri de révolte pur et dur semble en effet si réel qu'on sort de la séance aussi épuisé que fasciné. Épuisé parce que le cinéaste fait tout pour nous en mettre plein la tronche et y parvient grâce à une science de l'image et du son qui force le respect. Fasciné par le côté esthétique et graphique de sa proposition. Des duels où les poings sont d'une férocité extrême aux déambulations hypnotiques dans une ville de Tokyo qui a rarement été montrée si oppressante, tout élément qui s'invite à l'écran cingle les mentalités pour se faire l'écho d'une contre pensée rageuse.
Le pitch de Tokyo Fist est pourtant classique, à savoir un triangle amoureux prévisible, mais jamais le sujet n'aura été traité avec autant de rugosité. En apportant à ces trois protagonistes un accès à la liberté uniquement par la douleur, Tsukamoto frappe fort les esprits. A travers ce personnage qu'il joue lui même avec une belle intensité, ce monsieur tout le monde plutôt heureux dans sa vie qui ne prend conscience de son corps et son esprit que lorsqu'il se fait friter, le cinéaste fait un parallèle assez flippant entre nos vies généralement cadrées et ces fantômes qui semblent errer dans la ville. Car en dehors des trois acteurs qui se partagent l'image, toute personne qu'ils croiseront en dehors de la salle de boxe ou de leurs habitats respectifs auront l'air d'âmes éteintes, semblables à celles que pouvaient être Tsuda et sa fiancée. Cette dernière, qui est d'ailleurs l'élément déclencheur de la métamorphose de son mari, est certainement celle qui nous questionne le plus, tant il est difficile d'appréhender sa façon de se mutiler avec autant de férocité.
Mais cette rage omniprésente qui suinte de chaque plaie nouvellement reçue ne pourrait avoir autant de puissance si elle n'était pas portée par la virtuosité de leur auteur. D'un point de vue purement formel, Tokyo Fist est un véritable direct à la mâchoire. Entre les ambiances lumineuses qui ne cessent de s'opposer, danse des corps rougeâtres, errances bleutées et les combats de boxe, impressionnant d'impact, Tsukamoto impose son talent à l'image, sans jamais s’embarrasser de la bienséance. Et quand en se renseignant sur le film, on apprend que son auteur cite parfois un animé assez réputé de boxe, on comprend ce parti pris surréaliste dans les combats. On est en effet souvent en pleine culture manga, avec des persos qui ne s'épuisent jamais et font preuve d'une persévérance dans la violence, qui, amplifiée par d'habiles jeux sonores, nous assomme sans crier gare.
Le nihiliste extrême qui habite la bobine fait qu'on n'a pas forcément envie de rempiler de sitôt pour un match de boxe aussi énervé, et pourtant, impossible de ne pas finir la séance admiratif devant autant d'implication. Des acteurs précis et survoltés, une image sans cesse en quête d'impact visuel, des grosses basses saturées qui font trembler le cadre, tout dans Tokyo Fist nous remue la cervelle avec puissance. On finit les hostilités sur les rotules, en étant certain que ce film là, on ne l'oubliera pas.