Shinya Tsukamoto poursuit les mêmes pulsions que le diptyque Tetsuo. Tokyo Fist est une avalanche de fureur, un magma de souffrance qui s’extériorise : souffrance nihiliste qui fait de nous les humains que nous sommes. Dans une société formatée où les humains ressemblent à des fourmis qui porteraient inlassablement leur fardeau, Tsukamoto continue sa plongée dans la frustration qui émane de cette dite société de consommation.
Tsuda est un salarié d’entreprise comme un autre : il porte un costume, travaille et rentre chez lui pour voir sa femme Hizuru et tout cela sans le moindre souffle de vie de passion. Il répète cette gestuelle inéluctablement dans un quotidien bien morne comme une vulgaire marionnette. Tout comme Tetsuo ou même Bullet Ballet, le cinéaste japonais nous prend violemment par la main et nous engouffre dans un Japon aseptisé, bleuté et délavé de toutes ses luminosités publicitaires. C’est un Tokyo déshumanisé, aux ruelles austères et à l’architecture industrielle qui s’offre à nous.
Le cinéaste s’efforce de parler de personnes que l’on ne voit pas au Japon, de retranscrire une violence qui est latente dans un pays qui, de par ses mœurs et sa soif de réussite, refrène bien des sentiments. C’est l’histoire d’un trio, d’un couple qui se délite et se sépare pour que chacun puisse expérimenter et connaitre ses limites : se faire emmener de force par les joies de la folie et de l’autodestruction. Avec Tokyo Fist, on pourrait logiquement penser à Crash de David Cronenberg avec ses morsures sadomasochistes ou même apercevoir de grandes similitudes avec le Fight Club de David Fincher : le genre d’oeuvre qui met le corps de ses protagonistes à rude épreuve. Mais cette fois, et comme son titre l’indique plus ou moins, Tokyo Fist s’incorpore dans le monde de la boxe : une boxe qui n’est pas entraperçue sous sa forme la plus noble, au contraire d’un Raging Bull de Martin Scorsese, mais qui est matérialisée par sa capacité à faire vivre les coups, à faire naître une jouissance sadienne, à faire gicler le sang et à faire ressentir la douleur. Une douleur qui rendrait la vie aux robots que les humains sont devenus. C’est là où rentre en scène toute la science expérimentale et « Do it yourself » de Shinya Tsukamoto : une mise en scène faite de fureur, composée d’un cadrage qui ne cesse de se décentrer, un montage épileptique proche des corps, des cicatrices et un mixage son/image en ébullition. Nous pourrions penser que le cinéaste répète la même recette et fasse de l’expérimental pour faire de l’expérimental : mais la parodie n’est jamais de mise et ce n’est pas un exercice de style juvénile qui se présente à nous. Le réalisateur nous emporte là il veut nous amener avec panache, fougue et une puissance de feu qui a peu d’égale.
Mais là où Tetsuo n’était qu’aliénation punk, et brûlot pamphlétaire qui roule à toute vitesse, Tokyo Fist délaisse parfois sa frénésie et greffe à son film des moments d’apaisement et de solitude où les personnages se sentent désarmés et en totale déconnexion avec leur environnement : des instants de contemplation de toute beauté. Des moments de respiration qui donnent de l’émotion mélancolique à un film qui n’épuise jamais sa forme et qui déroule son originalité sans compromis. Un film coup de poing, punk et salvateur.
Article original sur LeMagducine