Tom à la ferme n'est certainement pas le premier film du prodige Xavier Dolan que je me plais à regarder, et je dois bien admettre que si j'avais profondément été bouleversé par Mommy, perturbé par Laurence Anyways ou encore gentiment taquiné par Les Amours Imaginaires, jamais je n'avais encore ressenti brûler à travers moi une telle fêlure intime en regardant ce génie incroyable du cinéma. Aujourd'hui, enfin, après quelques égarements contrariés et des atermoiements d'usage, je me donne complètement au jeune Dolan, et un peu honteusement, je crois être tombé amoureux du cinéma du jeune réalisateur québécois. Si son sourire magnifique et sa grâce naturelle ne sont peut être pas totalement étrangers à ce coup de cœur, c'est un amour réfléchi et passionné que mon esprit porte tout à coup avec clarté, et peut-être même avec raison, à celui qui a prouvé dans un film qu'il pouvait prétendre à la grandeur du poète. Peut-être jamais cinéaste n'avait pu peindre avec finesse et obsession le profond malheur de l'homosexuel occidental face aux vicissitudes d'un monde hostile et injuste. Il avait peut-être fallu attendre l'excentrique Dolan pour ressentir au plus profond de soi la signification exacte de ce qu'est aimer les Hommes au XXIème siècle au Canada, et a fortiori, en Occident. Et, soudain, il m'a même semblé que le fou furieux Dolan, le cinéaste prétentieux et maniériste, avait dans ce long-métrage laissé complètement tomber le masque pour nous offrir ses plus beaux états d'âme dans un film qui se regarde comme on dissèque avec amusement les allégories d'un conte. Et entre deux musiques magnifiques, qualité de la bande-son qui reste sans doute ce que Dolan a volé de mieux à Tarantino ou Wong War-Kai, il y a ce que Dolan a fait de mieux lui-même : la représentation de la douleur.
Parce qu'il est insupportable d'imaginer aller aux funérailles de l'homme que l'on aimait sans que sa famille ou ses amis ne puissent croire que nous sommes bien plus que les inconnus au fond des salles, parce qu'il est insupportable d'imaginer devoir effacer notre amour en deuil derrière des sourires factices, parce qu'il est insupportable de voir cette violence larvée teintée d'un érotisme sensuel sans cesse nous humilier ou nous frapper comme on en prendrait d'autres. Il est tout simplement insupportable de contempler toute cette violence sans cesse érotisée au plus profond de nos chairs blessées avec une justesse parfaite, à la note près, à la cruauté près, à l'ambiguïté près. Est ce donc cela la condition de l'homosexuel occidental de notre siècle ? Cette condamnation à aimer si fort ce qui nous fait si mal ? A désirer si fort ce qui nous détruit tant ? A devoir supporter ces barrières infranchissables, ces nombreuses et incessantes frontières tellement irréductibles que la mort elle-même devient presque une allégorie un peu légère ? Comment ne pas comprendre la folie actuelle de la déconstruction sans envisager ces tours d'ivoire si imprenables qu'elles nous écrasent et nous brisent le coeur tel le regard de l'être aimé perdu. J'ignore bien si Dolan a réussit à atteindre ici l'universel de l'amour humain, mais il signe le chef-d'oeuvre parfait des impossibilités amoureuses homosexuelles, avec une grande poésie et une belle maturité. Un vrai coup de foudre.