Le québécois Xavier Dolan est énervant. Depuis son premier film, J’ai tué ma mère (qui avait fait sensation à Cannes), il est rapidement devenu l’un des réalisateurs les plus prometteurs de sa génération : ce jeune homme à qui tout réussit n’a en effet que vingt-six ans. Il revient cette année avec Tom à la ferme, qui, loin d’être un remake des aventures de Martine à la ferme, nous fait suivre un jeune publicitaire qui atterrit dans la campagne québécoise pour assister à l’enterrement de son compagnon. Logé dans la famille du défunt, il va découvrir que la mère, inconsolable, ignorait (et ignore toujours) tout de l’homosexualité de son fils. Mais alors que Tom est parti pour lui révéler la vérité, Francis, le grand frère et gérant de la ferme familiale débarque et le menace. Tom va alors se laisser prendre dans un jeu de domination sadomasochiste avec ce frère aux intentions troubles…
Alors que le film est adapté d’une pièce de théâtre qui se déroulait exclusivement en huit-clos, Xavier Dolan a quant lui décidé de montrer la campagne. Pourtant, et c’est là que réside la puissance du film et de sa mise en scène, le sentiment d’enfermement de Tom n’en est que renforcé. Pris au piège dans la ferme de sa «belle-famille », la campagne devient une prison d’où il s’avère impossible de s’évader.
Le personnage de Francis, interprété par Pierre-Yves Cardinal, est passionnant car on ne le comprend jamais vraiment. La relation qui se noue entre lui et Tom est à la fois fraternelle et ambiguë : on se surprend parfois à penser que Francis est possiblement lui aussi homosexuel.
Cette situation est d’autant plus complexe que Tom développe un certain syndrome de Stockholm pour cet homme violent qui le retient prisonnier.
La connexion des deux personnages permet de faire tenir le film debout et d’aborder d’autres thèmes : le deuil, l’homophobie, l’opposition ville/campagne… Les sujets abordés par Xavier Dolan sont nombreux, mais sont surtout traités d’une manière singulière. Ainsi, contrairement à d’autres films pouvant traiter de l’homosexualité, le héros doit ici non pas l’assumer et l’afficher au reste du monde, mais au contraire la cacher, même si il l’assume pleinement. La faute donnée à une campagne macho, toujours remplie de clichés et de préjugés, tandis que la ville représenterait quant à elle la possibilité de s’accepter et de s’affirmer tel que l’on est.
A ces questionnements moraux se lie pourtant une esthétique du thriller, voire du film d’horreur. La ferme au fin fond du Québec remplace ici la traditionnelle cabane au fond des bois, et le tueur psychopathe est substitué par un fermier rustre et homophobe. Cela n’empêche pas Xavier Dolan de filmer les champs de blé et les étables comme d’inquiétants cimetières, sans oublier l’angoissante musique composée par Gabriel Yared, apportant beaucoup au climat de tension installé tout au long du film. Le suspense devient intense (et rappelle par moments le savoir-faire d’Hitchcock en la matière), tandis que la psychologie des personnages est peu à peu dévoilée. Un équilibre parfaitement maîtrisé.
Xavier Dolan montre avec Tom à la ferme qu’il est décidément un réalisateur plein de surprises et de talent, et qu’il est capable de surfer sur plusieurs genres à la fois sans se perdre en chemin. Le jeune homme de la ville a su apprivoiser la campagne pour la faire sienne, et a su en faire un film où il marque son style et les esprits.