Lara Soft
Les adaptations de jeux vidéo font rarement bonne figure au cinéma, décevant les attentes des joueurs sans convaincre en contrepartie les cinéphiles. Tomb Raider s’était déjà cassé les dents il y a...
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le 21 mars 2018
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Lorsque l’on adapte au cinéma Tomb Raider, une de mes sagas vidéoludiques préférées, il paraît naturel que je sorte de mon silence pour donner un avis plus étoffé qu’à l’accoutumé. Et cela, même si le jeu qui est adapté est un de ceux avec lequel j’ai le plus de mal : mon avis étant très bipolaire, oscillant entre l’affection et la consternation.
Mais quand je me précipite pour voir le film, je suis très loin de l’enterrer d’avance. Au contraire, si Tomb Raider (2013) est loin d’être un de mes préférés, ce n’est pas à cause de son essence et de ce qu’il cherche à accomplir, c’est parce que je pense qu’il ne s’y prend pas de la meilleure manière pour transmettre ses ambitions. Mais tout le principe du jeu, celui de plonger une Lara inexpérimentée sur une île mystique dangereuse, je le trouve vraiment très intéressant et plein de potentiel. Et ce potentiel est tout aussi valide pour une adaptation cinématographique. Il est d’ailleurs certainement beaucoup plus facile d’adapter la série à partir de ce reboot que d’adapter les épisodes précédents, et ce n’est pas les films avec Angelina Jolie qui diront le contraire.
Il est intéressant de noter que le film ne se contente pas seulement de retranscrire celui que l’on surnomme Tomb Raider 9, mais qu’il reprend également beaucoup d’élément de sa suite : Rise of the Tomb Raider. En effet, il introduit le grand groupe « Trinity », devenu le Némésis de Lara Croft, ainsi que le personnage d’Ana et tout le principe des énigmes et vidéos laissées par Richard Croft, le père de notre héroïne.
De ce fait, Square Enix (éditeur du jeu, producteur du film) est plutôt malin, il introduit le film dans la pure lignée de la série telle qu’elle existe aujourd’hui et dans laquelle s’inscrira le prochain jeu Shadow of the Tomb Raider en septembre prochain. Et ce n’est peut-être pas plus mal. En effet, un (des) gros défauts scénaristiques de Rise of the Tomb Raider était qu’il introduisait des éléments au début de son histoire avant de réaliser un twist dès le milieu de l’aventure. En gros, le retournement de situation ne prenait pas du tout et tous les effets dramatiques semblaient tomber comme un cheveu sur la soupe, au grand dam des joueurs qui étaient en plus prisonniers de dialogues qui sonnaient sans doute un peu trop faux. Ici, l’avantage du film Tomb Raider c’est qu’il sait déjà dans quelle direction va sa franchise et il introduit déjà, en amont, ces éléments scénaristiques pour qu’ils apparaissent de manière naturelle et donc plus crédible.
Un bon point qui sera malheureusement contrebalancé par le fait que toute l’atmosphère mystique, faite de légendes japonaises et de cultes occultes, sera sacrifiée au passage. Mathias, le méchant plutôt charismatique (mais exagéré) de Tomb Raider 9 passera donc du statut de chef dégénéré d’une secte rendant hommage à la reine du soleil, Himiko, à celui de simple mercenaire asservi à l’ordre de Trinity. Ca m’a fait un peu de la peine. Ca m’a rappelé quand SPECTRE a essayé de me faire croire que le méchant de Skyfall était en fait un complice de Blofeld, le genre de moment où tu sais qu’on se fout un peu de ta gueule et qu’on est en train de manquer de respect à un personnage. Mais cela reste cohérent avec la réécriture proposée par ce film, même si on perd ainsi un personnage plutôt intéressant et on le remplace par un qui est simplement fatigué d’avoir passé 7 ans à chercher une tombe et dont le seul désir est de rentrer chez lui. Le personnage ne sera à aucun moment plus creusé que la définition que je viens d’en faire. Dommage.
La dimension mystique sera malgré tout présente, via les notes laissées par le père de Lara, persuadé que des dangers surnaturels se renferment dans la fameuse tombe. Une des idées du film est de remettre en question cet élément, avec un méchant qui ne croit pas du tout à toutes ces histoires et avec une Lara qui semble plutôt hésitante sur la question. Le film joue sans cesse sur le « c’est surnaturel ! » et « ah non, en fait il y a une explication logique ». Une idée qui aurait pu avoir beaucoup de saveur si elle avait été exploitée correctement, ici elle est juste présente mais il n’y a jamais de véritable suspense au moment de prendre une décision.
Mais au-delà de cela, l’essentiel des mystères surnaturels survolés par Tomb Raider 9 se trouvaient dans l’exploitation de l’île en elle-même, qui était remplie à la fois de constructions humaines récentes et de ruines archéologiques remplies de secrets. L’île, à l’instar de celle de LOST par exemple, semblait également avoir une certaine personnalité, quelque chose bien à elle que l’on retient après avoir parcouru l’aventure, et cela même si le jeu nous avait déçu. Dans ce film, j’ai cru pendant un petit moment que cet exploit serait renouvelé !
En effet, l’île est présentée avec beaucoup de mystères, l’arrivée se fait avec un déchaînement digne d’une entrée sur Skull Island, et les premières promenades de Lara dans celle-ci arrivent à capter cette essence. Malheureusement, le film ne l’exploitera pas davantage. C’est lorsqu’il vient seulement d’introduire ce décor, de nous livrer son ambiance, ses dangers et son potentiel qu’il cessera immédiatement de l’utiliser. Finalement, l’île ne restera qu’une toile de fond, le film passera vite à autre chose.
Cette autre chose, c’est la dimension « tombeau » propre à la série Tomb Raider. Je ne m’attendais pas à ce qu’il exploite autant cette partie là de l’essence de la série (après tout, TR9 s’était focalisé sur l’île, ses forêts et ses installations, et avait minimisé les temples et tombeaux – sans les ignorer – et c’est plus ou moins le même constat pour sa suite). Mais le scénario semble vouloir faire la part belle à la dimension archéologique et c’est quelque chose que je félicite. Il le fait à la manière du film « Cube », c’est-à-dire que l’avancée dans chaque nouvelle salle sera l’occasion d’un nouveau danger, d’un nouveau piège, d’une nouvelle énigme, et qu’il faudra apprendre à la contourner. C’est l’occasion d’offrir une ambiance sympathique et d’amener un dynamisme bienvenu.
Néanmoins, on aurait très facilement pu imaginer beaucoup plus de tension, un traitement approfondi en jouant davantage sur le climat de ces tombes, et surtout en soignant la qualité des énigmes car la résolution de celle sur laquelle le film s’attarde le plus n’est pas loin de faire facepalmer. Mais ce n’est pas raté pour autant donc je ne boude pas mon plaisir car j’aime bien ces jeux de dalles piégées, de pics qui sortent des murs, etc. C’est du déjà vu, mais c’est du Tomb Raider, et quelque part je suis content de retrouver cet aspect même si on aurait pu en faire quelque chose de plus puissant.
Vous avez peut-être remarqué que je distingue deux parties différentes dans l’aventure (outre son introduction, plutôt efficace même si classique) : l’arrivée sur l’île et les premières péripéties de Lara sur celle-ci puis l’exploration de tombeaux. Mais il y a, en réalité, une partie entre ces deux parties.
Cette partie là fait en quelque sorte le pont logique entre les deux, c’est censé être le moment charnière où Lara passe de la petite victime qu’elle est à la combattante qu’elle devient, de manière logique et cohérente. Du moins, c’est censé l’être. Mais en fait non. Boh, comme dans le jeu en fait, on ne peut pas trop lui reprocher d’être une mauvaise adaptation, ha ha ha ! Bon, je vois que ça ne fait pas rire tout le monde, je reprends.
Si durant toute la première partie, j’apprécie vraiment le développement du personnage de Lara Croft, c’est à partir de là que le bat blesse. Elle est présentée depuis le début comme quelqu’un de courageux, de tenace et de brave, qui ne prend rien pour acquis et qui est prêt à faire ses preuves. On la voit apprendre à se battre, mais on ne la voit pas encore parfaite, elle échoue à plusieurs reprises : ce n’est pas encore la plus forte, mais on voit qu’elle en a dans le ventre. Elle a donc, de base, les bons atouts d’une héroïne en puissance qui ne demande qu’à se révéler. Dès le début de son aventure, ça part plutôt bien avec des péripéties qui montent en crescendo et qui mettent de plus en plus sa vie en péril. Elle survit à la fois avec chance et avec compétence, elle utilise sa cervelle et ses muscles pour se sortir des dangers. La scène de l’avion, montrée dans la plupart des trailers, est très caractéristique de l’efficacité de ces moments. C’est probablement la meilleure scène d’action du film car elle réussie à faire vivre ces événements au spectateur avec une certaine intensité. La caméra, quant à elle, prend son temps pour que l’on se repère toujours très bien dans l’espace, et la mise en scène est plutôt rodée (ce ne sera pas le cas de toutes les séquences). En outre, d’un point de vue narratif, c’est la première fois que Lara se sort d’une situation désespérée et qu’elle gagne donc en confiance en elle.
J’aime qu’ils aient gardé cet aspect de l’héroïne qui se révèle, qui tire profit de son entraînement mais qui est encore loin d’être parfaite. C’est plutôt bien fait. Cette « humanisation » de Lara avait beaucoup fait parler d’elle à la sortie de TR9, et était notamment mis en avant par tous les cris de souffrance et de hargne émis par l’héroïne. Ca n’a pas été oublié par le film car Lara Croft continue de souffrir et d’être choquée par ce qu’elle doit faire pour survivre, et Alicia Vikander fait très bien vivre ce personnage.
Mais voilà, passé son premier meurtre, Lara obtient des informations sur ce qu’elle doit faire et elle se transforme en une machine à tuer à partir d’une nuit de sommeil. On oublie l’héroïne qui débute, elle s’est dégotée un arc et elle part à la guerre, sans avoir de plan, et devient une championne de l’infiltration. Et là ça part en couille pendant quelques instants, on a une petite scène d’action qui dure environ cinq minutes durant laquelle Lara est intouchable, ça manque vraiment de dynamisme dans la situation et dans l’utilisation de l’espace, et surtout de crédibilité. Ensuite, nous arrivons à la partie « tombeau » de l’histoire.
J’ai donc le sentiment que le film est amputé de toute une partie qui aurait été intéressante, comme s’il se jetait sur son arc final de manière précipitée, et qu’il jetait à la poubelle de nombreuses idées de développement. C’est à ce moment là de l’intrigue que l’on aurait du donner de la consistance à l’île, à son ambiance et ses mystères. De la consistance également à Lara Croft, qu’on aurait pu faire évoluer plus logiquement. Et de la consistance à l’action et aux péripéties en général, qui méritaient mieux que de se faire rusher d’une manière aussi mal amenée.
C’est ici que réside pour moi ma principale déception concernant cette adaptation. Toute la partie de développement, d’étoffement, où l’on donne vie à des personnages et à des décors, au moment où l’on est censé construire tout ce qui rend une œuvre marquante et où on développe ce qui est censé se transformer en climax, toute cette partie est jetée à la poubelle. Elle n’existe simplement pas. Le film passe simplement, en l’espace de cinq minutes, du début des péripéties de Lara à la fin de celles-ci, sans rien construire. Et c’est triste. Car c’était là l’essentiel.
Rajoutons au passage que le film s’embourbe également dans de nombreux pièges qui viennent le tirer vers le bas : une mièvrerie sur l’amour paternel (héritée du premier film), des moments sentimentaux qui n’arrivent pas à l’être, le grand méchant qui abat un figurant fatigué mais qui laisse en vie ceux qui se rebellent, un sidekick ivrogne qui devient soudain un expert militaire qui sait manier toutes les armes à portée de lui avec la précision de James Bond (cet homme est très précis), des ennemis qui visent aussi bien que des stormtroopers quand il s’agit de tirer sur les héros mais qui ne ratent aucun figurant, des moments clichés où Lara finira ses combats par une punchline d’un autre temps, une réalisation un peu trop classique malgré quelques réussites, une OST inégale mais dans tous les cas jamais marquante et une histoire sans aucun doute un peu facile.
Mais le plus grave selon moi ça reste une des révélations du film qui, je trouve, n’a vraiment pas sa place dans le film. J’aurais pu accepter cet élément s’il était intéressant dans le développement scénaristique, mais je pense au contraire que cela le dessert.
Et aussi, et il faut le noter car c’est un peu la honte, le fait que ce film Tomb Raider plagie sans pression le scénario d’un des jeux Uncharted, une saga habituellement considérée comme sa principale concurrente. C’est « léger » à l’échelle du scénario du film, mais la parenté est tellement évidente qu’il est difficile de ne pas le voir si on a joué au jeu en question.
Mais, honnêtement, il ne démérite pas. En tant qu’adaptation, il remplit plutôt bien son office et arrive, je pense, à lancer une saga cinématographique sur de bonnes bases (ce qui n’était pas du tout le cas de Ratchet & Clank, par exemple). Dans la catégorie des adaptations de jeu vidéo, il arrive dans le haut de panier, même si cette allégation n'est (malheureusement) pas gage de qualité.
Certes, il manque encore beaucoup de travail sur l’ambiance dégagée par les lieux que l’on traverse, ainsi qu’un soin sur l’atmosphère mystique et archéologique des tombeaux que l’on visite, mais il réussit à proposer une aventure « pulp » plutôt précipitée mais agréable. Il faudra par la suite soigner davantage les personnages, la narration de l’aventure archéologique (car il y a un désintérêt profond pour Himiko et Yamatai dans ce film – sauf si on y est attaché grâce au jeu) et garder ce travail dans la réalisation des scènes d’actions, durant lesquelles Alicia Vikander se donne à fond et ça fait franchement plaisir à voir.
Le mot de la fin sera donc que oui, Alicia Vikander, aussi Suédoise soit-elle, incarne très bien notre héroïne britannique préférée. Elle en a la carrure, elle transmet cette force et cette bravoure, et elle joue avec intensité et humour. Elle représente bien la « nouvelle Lara Croft », et j’ai hâte de voir comment ils la feront évoluer dans de prochains films, s’il doit y en avoir.
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le 18 mars 2018
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