Vu deux fois déjà, en train de devenir fan. Les éclats de rire de la première fois masquent un peu la profonde nonchalance du film, qui le rend vraiment singulier. Le film, sa durée monstre, sa densité narrative, la bizarrerie de son rythme, n'en finissent plus de hanter. Toni Erdmann soulève des montagnes pour accoucher d'un rien, d'un rien qui change tout et détruit des mondes voués à disparaître. Maren Ade retrouve le plaisir ludique de la situation : des corps dans le champs, une perruque, des fausses dents, et regarder ce qui se passe. Juste voir, rien de plus. Mais voir, enfin, c'est aussi douter, et tout le temps en regardant Toni Erdmann, nous doutons, du ton, du style, du monde, de nos convictions, des relations pères-filles, des personnages, des situations, de ce qui nous apparaît comme réel et qui l'est finalement si peu.
Mais c'est aussi un film d'une tristesse infinie, en forme de pain sec, âpre et tendu par si peu de choses. Deux êtres qui prennent conscience de leur impossible rencontre, et s'essaient à retrouver un peu d'intensité, et redonner un peu de cette intensité au monde (retrouver des valeurs humaines, la chaleur d'une rencontre). Film intime, film politique. Film funambulesque : en constante recherche de forces qui ne font que s'effleurer, et dont chaque rapprochement fait l'effet d'une bombe. Je songe à cette scène dans la boite de nuit où Toni Erdmann, prisonnier de son personnage, son sourire naïf éclairé de fausses dents, regarde sa fille affaissée et les larmes me montent aux yeux. Parce que pour s'atteindre, peut-être faut-il mentir, peut-être faut-il manipuler les circonstances, créer des brèches de force. Peut-être que pour se retrouver, il faut saboter sa vie, se mettre à poil, littéralement. Le film ose cela. Des moments bouleversants, hilarants, il y en a donc beaucoup, et ils sont tous étonnants, surgissant de nulle part et donnant à un film titubant sa vraie ligne de fuite, jusqu'à ce dernier visage mystérieux dans le jardin de papa. Jusque là, le film n'aura de cesse de basculer, faire tomber les masques, pour le simple plaisir du jeu. Sur le papier, rien de crédible, et pourtant on y croit fort. On rit, on pleure, on s'amuse et on ne sait jamais où l'on finira. Car Maren Ade n'a rien à dire et c'est ça qui est somptueux.