Chose assez rare pour le signaler, dans Toni Erdmann, il n’y a quasiment aucun enfant. Dans le cinéma contemporain traitant du sujet des relations familiales, c’est presque un exploit. D’autant plus qu’un des sujet principal du film c’est l’Enfance. La conséquence de voir alors des adultes jouer aux enfants est à la fois loufoque et particulièrement triste.
Toni Erdmann est l’histoire du chat et du chat, deux personnalités instables qui ne savent même plus pourquoi elles s’aiment, et qui jouent à celui qui pissera le plus loin. Ou du moins, qui poussera le bouchon le plus loin dans l’absurdité de sa vie.
D’un côté, nous rencontrons Winfried, le genre de mec bien sympa en soirée mais qui doit être vite pénible à vivre. Sa vie n’est qu’une succession de farces, de blagues potaches dans lesquels il s’invente tout un tas de personnages, histoire de ne jamais prendre ses responsabilités. De l’autre côté, on découvre Ines (incroyable Sandra Hüller) une jeune femme tellement dépressive qu’elle vous dégouterait des cupcakes. Pour terminer ce tableau, en toile de fond, c’est la Roumanie, entre ses hôtels de luxe et son profond désespoir.
« C’est quoi le bonheur ? »
Et pourtant, malgré tout cela, Toni Erdmann est sans doute le film le plus rafraîchissant que j’ai vu depuis bien longtemps. Je n’aurais jamais pensé dire cela d’un film allemand. C’est comme si Loach avait tourné avec les Monty Pythons. On rit mais on ne sait plus si c’est par gêne, par pudeur ou en désespoir de cause. Certaines scènes sont si brillantes sur ce point qu’elles deviennent des moments d’anthologie. Bien évidemment, il y a ce point culminant lors de la fête d’anniversaire d’Inès, réunion jouissive entre mal-être, ridicule et sincérité, mais il y a surtout ce tour de chant, tour de force de Sandra Hüller, où explose toute la beauté du film, l’équilibre parfait entre la mise à nu bouleversante et le moment de gêne absolu.
Le film navigue sans cesse sur cette corde raide. Parfois il nous laisse le suivre dans un courant impétueux et à d’autres moments il nous largue, nous laissant nous agripper à une bouée de fortune, un éclat de rire mal placé, un coussin péteur des grands jours.
A l’instar du message final du film, il nous faut saisir l’instant où tout est parfait, où le timing a la grâce d’un métronome, tout en boudant cet « après » où tout redevient fade et où le drôle laisse la place à la confusion et l’inconfort.
« Ne perdez jamais le sens de l’humour »
N’y aurait-il que l’humour pour sauver nos pauvres carcasses de ce monde crade où l’autodestruction répond à la superficialité ? C’est dans les méandres de cette hypothèse que Toni Erdmann est né. Mais essayer de faire rire à un enterrement c’est quand même plus compliqué que dans une fête foraine. Il faut être passé maître dans l’art de l’humour et le dosage des sentiments pour écrire un tel film, où les personnages, à force de jeux et de masques, ne peuvent sincèrement se retrouver qu’en étant à poils.