Comment un père peut-il redonner l'envie de sourire à sa fille ? Tel est ce qui semble le point de départ de ce long film de 2H40 qui nous expose le cas d'Inès, une jeune femme CSP+ qui ne s'épanouit que dans le cadre de son travail de consultante. Enfin, s'épanouir est un bien grand mot. On s'aperçoit qu'elle est aliénée par son travail au point de porter en toute occasion le masque froid de la collaboratrice parfaite, adroitement manipulée par son patron qui veut lui faire porter à sa place la responsabilité de délocaliser des centaines d'emplois d'Allemagne en Roumanie et qui l'oblige pour la rabaisser à accompagner sa maîtresse pour faire du shopping en ville.
Plus dramatique que comique par son contexte où l'on voit des hommes d'affaires et du personnel d'ambassade sabler le champagne et mener grand train en Roumanie alors que des travailleurs seront mis au chômage par leurs décisions, le film semble s'efforcer péniblement de faire retrouver sourire et joie de vivre à Inès (Sandra Hüller très convaincante), au gré des pitreries de son père (Peter Simonischek impeccable) jamais à court d'idée pour porter des postiches ou des déguisements en public tout en faisant le con, la raison invoquée par sa fille étant un état de choc suite à la mort de son chien, en fait une solitude pathétique à laquelle il essaie d'échapper. Marin Ade va-t-elle donc s'employer à humaniser son héroïne et nous la rendre à la fin sympathique dans ce perfekte Welt, ce meilleur des mondes capitalistes possible ? Oh que non ! Inès va montrer au contraire un autre côté de sa nature, pas vraiment contradictoire avec sa fonction de businesswoman, un petit sadisme quotidien qui lui fait prendre plaisir à humilier ses subordonnées ou son amant. Et on remarque qu'elle n'est pas du genre à se laisser déstabiliser ni même apitoyer par son lourdaud de père.
Je dois avouer que je n'attendais pas grand chose du film, d'autant que quand une certaine critique cannoise trouve un film très drôle c'est qu'en fait il ne l'est pas du tout, et c'est devenu pour moi avec le temps un genre d'alerte pour fuir ce genre de film. La mise en scène de Marin Ade réussit cependant à nous surprendre et au final ce portrait de femme ne déparerait pas dans ma galerie personnelle à côté de certaines responsables féminines ou DRH que j'ai eu la « chance » de côtoyer. Les différentes séquences démontrent beaucoup de vérité dans la description du milieu affairiste, de la sincérité dans les intentions de la réalisatrice et de la subtilité dans ce portrait d'une femme de notre temps. Un peu trop même, comme si la conscience professionnelle d'Inès avait contaminé la réalisatrice, à moins qu'au contraire Marin Ade n'ait pas voulu faire de la peine à ses acteurs en coupant certaines scènes superflues ni voulu éviter trop de travail au montage, au point de faire durer le film au moins 40 minutes de trop. Et la fin ouverte laissée à l'appréciation du spectateur ne correspond pas à mon avis à l’égoïsme et à l'absence d'humanité de la fille. J'aurais plutôt attendu une inscription forcée du père en EHPAD, voire un voyage en Suisse pour lui préparer une belle mort assistée.