C'est un film magnifique, au moins aussi beau, voire peut-être plus - je laisse le temps juger - que le déjà sublime Un monde sans femmes. Ce dernier était le conte doux, léger et lumineux d'un été. Tonnerre est son envers neigeux et sombre, creusant dans chaque scène sa propre mélancolie, la questionnant et l'incarnant par une multiplication désarmantes de moyens, de genres, de tonalités et de variations de jeu. Film sur la douleur d'aimer, film sur l'impossibilité de comprendre l'autre. Film infiniment dépressif, film sur la poésie - dans une scène, Bernard Menez se lève et récite du Musset à son chien. Film sur le terrible romantisme de la vie, un romantisme noir, empoisonné, rugueux et âpre. Film sur le vide, sur le néant, sur l'abîme menaçante, sur les gouffres cachés qui observent ses personnages. Portrait d'un père et son fils, portrait d'une ville qui s'éveille dans la nuit.
La nuit, justement, la neige, deux personnages perdus sur une île entourée d'eau : Tonnerre, dans son vacarme et dans son silence aussi, tend à raconter mille choses, une histoire par scène, par dialogue, par regard perdu dans les yeux de l'autre. Mais cette richesse là, Brac n'a courageusement pas crainte de la vider de sa substance, de tirer son film vers des gouffres inexplorés et mystérieux. La chaleur humaine du film, ce naturalisme si présent au début, n'est plus alors qu'un squelette décharné, un fantôme comme de la brume nocturne sur un lac. Image trouble et belle d'un cinéaste qui détruit sciemment ce qu'il sait faire, on pourrait dire "se tire une balle dans le pied", pour atteindre enfin le dessein naturel de ce film dépourvu de centres : laisser volontiers s'échapper les choses de son regard, mais incarner le mouvement de tous les possibles à la fois, contempler avec le spectateur et personne d'autres un film se déverrouiller (quitter son scénario, ses personnages, son lieu initial) et partir seul dans une barque de l'autre côté du lac, emportant ses secrets et ses tourments irrésolus avec lui, aspirés dans un bruyant tonnerre.