C'est un film magnifique, au moins aussi beau, voire peut-être plus - je laisse le temps juger - que le déjà sublime Un monde sans femmes. Ce dernier était le conte doux, léger et lumineux d'un été. Tonnerre est son envers neigeux et sombre, creusant dans chaque scène sa propre mélancolie, la questionnant et l'incarnant par une multiplication désarmantes de moyens, de genres, de tonalités et de variations de jeu. Film sur la douleur d'aimer, film sur l'impossibilité de comprendre l'autre. Film infiniment dépressif, film sur la poésie - dans une scène, Bernard Menez se lève et récite du Musset à son chien. Film sur le terrible romantisme de la vie, un romantisme noir, empoisonné, rugueux et âpre. Film sur le vide, sur le néant, sur l'abîme menaçante, sur les gouffres cachés qui observent ses personnages. Portrait d'un père et son fils, portrait d'une ville qui s'éveille dans la nuit.
La nuit, justement, la neige, deux personnages perdus sur une île entourée d'eau : Tonnerre, dans son vacarme et dans son silence aussi, tend à raconter mille choses, une histoire par scène, par dialogue, par regard perdu dans les yeux de l'autre. Mais cette richesse là, Brac n'a courageusement pas crainte de la vider de sa substance, de tirer son film vers des gouffres inexplorés et mystérieux. La chaleur humaine du film, ce naturalisme si présent au début, n'est plus alors qu'un squelette décharné, un fantôme comme de la brume nocturne sur un lac. Image trouble et belle d'un cinéaste qui détruit sciemment ce qu'il sait faire, on pourrait dire "se tire une balle dans le pied", pour atteindre enfin le dessein naturel de ce film dépourvu de centres : laisser volontiers s'échapper les choses de son regard, mais incarner le mouvement de tous les possibles à la fois, contempler avec le spectateur et personne d'autres un film se déverrouiller (quitter son scénario, ses personnages, son lieu initial) et partir seul dans une barque de l'autre côté du lac, emportant ses secrets et ses tourments irrésolus avec lui, aspirés dans un bruyant tonnerre.
B-Lyndon
6
Écrit par

Créée

le 1 févr. 2014

Critique lue 645 fois

15 j'aime

7 commentaires

B-Lyndon

Écrit par

Critique lue 645 fois

15
7

D'autres avis sur Tonnerre

Tonnerre
Electron
7

Rubrique à Brac : faits d'hiver

Musique : Le rockeur de Tonnerre Le musicien Maxime XXXXX a fui l’agitation de la capitale pour préparer son prochain album dans notre ville. Dans le plus pur anonymat, il a retrouvé la chambre de...

le 28 janv. 2014

27 j'aime

3

Tonnerre
B-Lyndon
6

Les Gouffres

C'est un film magnifique, au moins aussi beau, voire peut-être plus - je laisse le temps juger - que le déjà sublime Un monde sans femmes. Ce dernier était le conte doux, léger et lumineux d'un été...

le 1 févr. 2014

15 j'aime

7

Tonnerre
socrate
8

T'as voulu voir l'amour et on a vu Tonnerre

Je vais au cinéma pour être perdu, malmené, surpris. Je dois dire qu'avec ce film, je ne suis pas déçu. Je ne savais rien du métrage, si ce n'est qu'il se passait à Tonnerre : n'en rien connaître à...

le 21 mars 2019

10 j'aime

4

Du même critique

The Grand Budapest Hotel
B-Lyndon
4

La vie à coté.

Dès le début, on sait que l'on aura affaire à un film qui en impose esthétiquement, tant tout ce qui se trouve dans le cadre semble directement sorti du cerveau de Wes Anderson, pensé et mis en forme...

le 3 mars 2014

90 j'aime

11

A Touch of Sin
B-Lyndon
5

A Body on the Floor

Bon, c'est un très bon film, vraiment, mais absolument pas pour les raisons que la presse semble tant se régaler à louer depuis sa sortie. On vend le film comme "tarantinesque", comme "un pamphlet...

le 14 déc. 2013

80 j'aime

45

Cléo de 5 à 7
B-Lyndon
10

Marcher dans Paris

Dans l'un des plus beaux moments du film, Cléo est adossée au piano, Michel Legrand joue un air magnifique et la caméra s'approche d'elle. Elle chante, ses larmes coulent, la caméra se resserre sur...

le 23 oct. 2013

79 j'aime

7