Coup de foudre à Tonnerre
Après avoir installé ses caméras sur la côte picarde dans le réjouissant moyen-métrage Un monde sans femmes, le réalisateur Guillaume Brac investit pour ce qui constitue son véritable premier long-métrage la terre bourguignonne, et plus précisément Tonnerre, une bourgade de l’Yonne, dont le nom renferme des promesses de tempêtes, de foudres derrière une apparence bien sage et proprette. C’est peut-être de la sorte qu’il faudrait définir le désormais omniprésent et incontournable Vincent Macaigne, metteur en scène de théâtre, devenu en l’espace de quelques films remarqués le héraut d’une nouvelle génération de cinéastes, l’érigeant en porte-drapeau des losers tendres et maladroits, mais aussi déterminés et pouvant révéler une sauvagerie incontrôlable. Avec son côté nounours – le garçon est plutôt grassouillet, poilu et chevelu – et son regard clair d’une tendresse dont on saisit aisément qu’elle peut faire vaciller et séduire, il impose une silhouette débonnaire d’un mec à côté de la plaque, une espèce d’éléphant dans un magasin de porcelaine.
Dans Tonnerre, son personnage de rocker solitaire de retour chez son père (Bernard Ménez en clin d’œil au cinéma de Pascal Thomas et de Jacques Rozier, partageant avec son cadet le goût de l’éclectisme et du touche-à-tout) s’inscrit donc naturellement dans la typologie des rôles précédents. Cet épisode icaunais pourrait être la suite des tribulations de Vincent, le trouble-fête de la Bataille de Solférino (Justine Trier en 2013), sauf que Maxime, le musicien solitaire qui compose et arrange dans la pénombre de sa chambre, n’a pas d’enfants, un passé qui restera obscur. Interviewé par une très jeune journaliste locale, Maxime tombe sous le charme et s’attache à Mélodie.
On pense être en terrain connu : une comédie faussement légère, franchement douce-amère, provinciale mais pas méprisante ni caricaturale, traçant le portrait d’un post-adolescent inadapté, rentrant docilement au bercail d’un père volage et ouvert d’esprit. On pense découvrir l’enchainement de saynètes sympathiques, dépeignant sans moquerie un univers rural et décalé où la figure de l’artiste même raté ou en déshérence de Maxime ne passe pas complètement inaperçue. On pense en définitive que Tonnerre sera la version étendue d’Un homme sans femmes, autre paysage mais dramaturgie à peu près identique au final. On pensait donc beaucoup et on se trompait tout autant, en faisant du coup, et sans vraiment le vouloir, injure à Guillaume Brac, présumé incapable de développer d’autres registres, se frotter à d’autres thématiques. Dès lors, Tonnerre nous conduit, pour notre plus grand bonheur, sur des territoires inédits, se frottant au fantastique (une randonnée à skis dans le Morvan) et enfin au polar, lorsque les événements s’accélèrent et avec eux l’obsession de Maxime chez qui resurgissent des fantômes enfouis que le retour au foyer n’allait pas manquer de réactiver, quel que fût le cours de l’histoire.
C’est cette multiplication de tons qui permet du coup au comédien de 2 automnes, 3 hivers de déployer l’étendue d’une palette qu’il n’avait pas encore eu totalement l’occasion de déballer. À l’instar de celle de sa consœur Valéria Bruni Tedeschi, la voix de Vincent Macaigne s’éraille et monte dans les aigus, signes avant-coureurs d’une émotion mal contenue, qui déborde et submerge et qui ne pourra se canaliser que dans un excès de violence destructrice.
Le film n’en finit pas de déjouer les pronostics, et de laisser, en conséquence, une place de choix au spectateur. L’absence de jugement – dont Maxime n’est pas dépourvu comme lui rappelle son père – et le refus explicatif, à peine quelques pistes sont-elles ébauchées, singularisent davantage Tonnerre, œuvre délicate et sensible, où la relation à la fois fusionnelle et entachée de culpabilité d’un père et d’un fils interfère sur la dérive existentielle et la soif absolutiste et inextinguible de ce dernier. Loin du héros lisse et trop facilement classable, Maxime, touche supplémentaire à un portait du jeune homme en perdition qu’incarne dans un jeu osmotique ahurissant Vincent Macaigne et qui se peaufine dans ses interprétations successives, révèle sa folie et sa sauvagerie. Et prouve du coup qu’il est simplement vivant, et le spectateur également.