L'odyssée du vieux beau : suite ou remake ?

Bien étrange film que cette suite du long-métrage culte des années 80.

Cette ode à Tom Cruise (pour le coup, le titre n'est pas une publicité mensongère) donne dans cette veine rétro qui semble toujours plus attirer en salles ces dernier temps, notamment dans la redécouverte des années 80, les années Reagan un peu ringardes et monolithiques semblant être devenues en quelques années le summum de la classe (de Stranger Things à François Ozon).

Mais plus qu'un exercice de style, ce qu'il est aussi pourtant, Top Gun : Maverick est surtout une des ces curieuses suites où notre génération, née à la fin des années 90, vient voir les aventures des héros, vieillis, de celle de nos parents. Harrison Ford, jusqu'ici, incarnait cette tendance en reprenant ces quinze dernières années tous ses grands rôles des 80s : Indiana Jones, Rick Deckard, Han Solo. J'ai d'ailleurs été amusé après coup en me rappelant que la bande-annonce qui précédait la projection était celle d'un énième Jurrasic Park/World... avec toute la bande d'acteurs originale : la suite tardive et nostalgique est bien un genre actuel.

Et maintenant donc, Tom Cruise : peu surprenant, en réalité, pour l'acteur-cascadeur-à franchise. Il semble à lui seul concentrer tous les paradoxes de cette suite clipesque : acteur d'un autre temps, passé d'un cinéma éclectique et parfois exigeant à maître d'oeuvre d'un ensemble de franchises bodybuildées, mais arborant toujours le même physique, le même sourire, le même visage de vieil adolescent. Le film nous présente une histoire de vétéran tête brûlée ("maverick"), indéboulonnable et indétrônable, sorte de Nadal de l'avion de chasse, mais qui a aussi les attributs de la jeunesse éternelle : torse sublime de dieu grec, sans ride ni cheveu blanc. Les scènes d'idylle avec Jennifer Connelly, niaises et superflues tant elles ne servent que de faire-valoir au "héros" emblématisent cette impression troublante d'un scénario voulant de façon totalement décomplexée tout à la fois : la sagesse de l'âge mais des amants encore sublimes, des anciens partenaires se revoyant à l'insu des enfants mais qui sont aussi comme des ados qui se cachent (le saut par la fenêtre)... Tom Cruise veut-il peindre le deuil d'une jeunesse impossible ? Est-ce une ode à la vie désormais décomplexée et bcbg des seniors ? Mystère... Pendant tout le film, je ne cessais de me demander, sans pour autant d'ailleurs ne pas rentrer dans le film : "mettent-ils vraiment en scène des personnages d'une soixantaine d'années ?" On me dira avec raison que le réalisme, quelle importance, que l'on est plus dans le mythe que dans l'exploration psychologique, mais tout de même... C'est donc un film assez rare par cette surenchère capricieuse : faire du fan service, jouer la carte de la nostalgie, du héros qui a vieilli...mais qui au fond est exactement le même, la patine en plus (ladite "force de l'âge" viriliste). Suite ou remake ?

Tout semble fait pour que le héros/l'acteur (mais faut-il vraiment distinguer quand tout le film, comme l'ont bien remarqué d'autres utilisateurs de SC, est aussi une métaphore de la carrière de Tom Cruise à Hollywood ?), qui a pourtant le même âge que les fans du premier film, soit autant admiré par les jeunes spectateurs d'aujourd'hui : éternelle idole des jeunes, transgénérationnelle.

Dans Blade Runner 2048, au moins, même si le personnage de R. Gosling était moins charismatique que le Deckard de 85, un nouveau personnage central était introduit, le retour du personnage original ayant - bel et bien - vieilli étant tardif, presque secondaire. Ici, Tom Cruise ne ménage pas la moindre place à d'autres personnages, comme, encore une fois, l'indique le titre : tout est centré sur le héros-vieilli-presque-dépassé-mais-pas-vraiment, les autres personnages étant, eux, soit brisés (Val Kilmer qui, lui a bien vieilli, est une sorte de portrait de Dorian Gray de Maverick), soit anecdotiques (toute l'escouade de jeunes pilotes sont des personnages-types et même le personnage de Miles Tiller n'est là que pour rendre la perception des performances de Maverick encore plus folles, pas du tout pour servir de relais) : si le film semble un moment amorcer la piste scénaristique de l'ancien héros devenant instructeur/passeur (comme dans Creed), on comprend vite que cela sera bien vite abandonné pour que tous les projecteurs soient sur Tom le demi-dieu qui ne vieillit pas : l'excuse pour qu'il reprenne du service est trouvée en un tour de main : les jeunes ne sont pas assez bons, il n'est pas fait pour être prof (les bouquins vont, bien entendu, à la poubelle) et lui seul réussit l'exploit nécessaire à la réussite de la mission. La vieillesse ne change donc rien au personnage (même corps, même mental) sinon le surplus d'admiration qu'elle suscite chez les autres personnages, relais des spectateurs.

Ainsi, tout le début du film avec le prêchi-prêcha attendu sur les nouvelles technologies (le futur arrive, le monde change) est bien vite abandonné pour donner libre-cours aux scènes d'actions, aux exploits, simples, linéaires, prévisibles et pour autant souvent jouissives. La "mission" est presque ridicule : on ne sait pas où ni de qui il s'agit (un "Etat voyou" disait le sous-titre avec un comique insoupçonné), les pilotes ennemis, comme certains pilotes de l'Empire de Star Wars, ont des casques noirs qui masquent tout leur visage, ils sont interchangeables quand les gentils yankees sont à visage découvert sous leurs casques chamarrés (avec leurs surnoms "cool" écrits en gros). Il faut avouer que les scènes d'action font de l'effet, le spectaculaire est au rendez-vous, même si le suspense est vraiment absent (tout est cousu de fil blanc, on sait très bien que tout va bien se terminer, même Rocky 4 n'est pas aussi "feel-good"). La mise en scène rétro et léchée est inégale, comme la musique.

Pour finir, je retiendrai cette prouesse scénaristique inédite dans son culot et son orgueil : faire la suite d'un film sorti il y a 40 ans centrée sur le même héros dont la vieillesse ne sert qu'à le faire admirer davantage, en aucun cas l'affaiblir, lui présenter de nouveaux problèmes ou lui faire laisser place à d'autres. Même en vieux briscard, Tom Cruise reste le jeune premier : la vieillesse ne lui sert qu'à cumuler le double profit de la performance/fougue et de l'expérience. Peut-être que cela aurait été la clé pour que le dernier OSS 117, scénaristiquement pas si élogné, ne fût pas la catastrophe qu'il a été...

Ego-trip post-hollywoodien (le préfixe commode quand on veut signifier quelque chose de poussé à l'extrême) fascinant de mégalomanie, de bons sentiments ressassés et de conservatisme (tête brûlée/anticonformiste ("maverick"), n'est bien que le nom du personnage) qui réussit pourtant à réellement captiver par moment, Top Gun : Maverick est un long-métrage aussi embarassant que jubilatoire, un bon candidat aux listes "plaisirs coupables" de SC...

Lowry_Sam
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le 18 juin 2022

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Sam Lowry

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