Quel pied !
Je n'aime pas du tout le premier Top Gun, sorte de relique kitch des années 80. Je lui préfère Jour de tonnerre, de la même équipe, qui raconte quasiment la même chose, mais qui a le bon goût...
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le 30 mai 2022
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Qui peut s'intéresser à un acteur se regardant sourire dans un miroir pendant deux heures? Tout le monde. Comment est-ce possible? Grâce à la magie du cinéma. Plus précisément la magie du cinéma américain.
Top Gun: Maverick est bien sûr une page de plus à la légende Tom Cruise écrite par l'intéressé, une ode à son sprint signature, un hommage à ses lunettes de soleil et sa moto, mais il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg (sans mauvais jeu de mot), l'argument de vente d'un film qui représente bien plus, qui caractérise en réalité l'ethos de l'époque, construit de longue date, et atteignant ici son point culminant.
Tom parvient à synthétiser et dépasser la formule Disney de jouer sur une nostalgie rustique et sincère juxtaposée avec le grand spectacle que permettent les moyens contemporains. Là où il ringardise tous ses concurrents c'est qu'il ne s’embarrasse pas de fan service et de clins d’œil ponctuels, la totalité du film est dédiée au premier du nom. Ce faisant il évite les écueils traditionnels de ces films et séries du même tonneau (Jurassic World en est un bon exemple d'actualité) qui ne comprennent pas que ce type de démarche se doit d'être totale, sans la moindre tentative d'autre chose, surtout si cet autre chose ne vole pas bien haut, voire est carrément nul. L'intrigue de Maverick, un entraînement et une mission de jeu vidéo, n'a aucune importance, ni même vraiment d'enjeux, elle n'est qu'un prétexte à frapper fort dans un post-modernisme complaisant, un film s'est-il jamais autant regarder lui-même ? Mais regarder faire quoi?
Objectivement, de la merde. Le premier Top Gun était un demi-navet de pathos grotesque, devenu référence culturelle (merci Archer entre autre), raillé pour son homoérotisme ridicule, ses répliques bidons, ses acteurs poseurs, c'était un film régressif et il a été aimé pour ça.
Maverick est un tout autre genre d'animal, alors qu'il fait pourtant tout comme son modèle, les fondus enchaînés, les relations entre personnages, sauf que les mêmes procédés à deux époques différentes ne produisent pas la même signification. D'autant plus qu'il le fait avec la puissance que peut désormais développer grâce à son expérience l'industrie du cinéma. Tout est plus grand, plus fort, plus beau, les émotions sont à fleur de peau, les thèmes graves, ça parle de la mort, de la vieillesse, de l'amour de la culpabilité, de la filiation, il y a Hans Zimmer à la musique, le quota de minorité. La machine bien huilée à tous les niveaux, du scénario au montage, ne laisse plus rien au hasard, c'est-à-dire qu'elle capte avec sa technique parfaite l'attention du spectateur le temps qu'il faut pour atteindre son objectif : un film qui ne raconte rien, un film de pure référence.
Tom réalise là le rêve après lequel court le cinéma américain grand public depuis des années, un produit qui ne fonctionne qu'en résonance, dont tous les autres aspects ne doivent que servir la "fresque" globale. D'un mauvais film, le magicien Cruise parvient à faire deux œuvres majeures de la culture américaine (et donc mondiale). La beauté de la chose tient dans sa paradoxale fragilité, on pourrait croire le processus reproductible à l'infini, il n'en est rien, car l'acteur est devenu le lien nécessaire pour que les connexions opèrent. Imaginerait-on un Top Gun 3 sans Tom Cruise ? Bonne chance pour le vendre. Peut-on à l'inverse imaginer l'acteur repasser en sequel toute sa filmographie en revue, Risky Business 2, Rain Man 2, Minority Report 2 ? L'entreprise, aussi aberrante parait-elle, semble tout à fait jouable, et j'irais certainement voir ces films. Qui n'irait pas?
Jusqu'où cela peut-il aller? Est-il possible de créer des ombres d'ombres? Irons-nous voir dans vingt ans le vingtième écho d'un pet émis dans les années 80? Maverick illustre l'ethos du monde (du monde ayant accès aux salles de cinéma s'entend), l'art imitant le réel, le film ne fait pas que refléter sa propre image, il nous renvoie à ce que nous désirons ou du moins à ce que ses créateurs pensent que nous désirons (le réel imitant aussi l'art, Maverick tente une prophétie auto-réalisatrice).
L'avenir du cinéma populaire est tout entier résumé ici, il il y a peu de chance qu'il change de voie, entraîné par un capitalisme qui ne proposera rien d'autre à moins d'être dos au mur, car il lui faudrait alors prendre position et non plus se cacher derrière son ironie post-moderne, celle-la même qui rencontre (jusqu'à quand?) le désir du public : se sentir supérieur à tous ces systèmes de valeurs dépassés, mutilés pour notre amusement en jeux de référence, alors même que leur manque n'est comblé que par le seul réconfort de se regarder nous aussi sourire dans le miroir. Un miroir de la taille d'un grand écran. Un sourire à la Tom Cruise, faux et forcé, mais si étincelant.
Créée
le 2 juil. 2022
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