Des choses gentilles à dire sur ce film :
Un de ces vieux bars dans lesquels on se sent chez soi, un homme s’installe au comptoir. Rondouillard, viril, espagnol, l’homme enquille les verres avec vigueur et rapidité. Précaution d’usage avant d’entamer son service... qui commence maintenant. C’est ainsi que le cœur au ventre, le justicier patrouille et, au fil des délits qu’il observe, s’amuse de la fouge de la jeunesse et de la bonne humeur qui anime les ruelles sombres... jusqu’à ce qu’il croise le chemin d’un maghrébin. Tout est posé. Dans la saga Torrente, on va suivre les aventures d’un sale type : alcoolique, puant, pleutre, raciste, misogyne et, ça on le doit à la maîtrise de Santiago Segura à la fois devant et derrière la caméra, curieusement attachant.
Pastiche de film noir, dans lequel un flic évolue dans les bas fonds d’une ville et y remue la merde, Torrente met le doigt sur un important trafic de drogue qu’il va chercher à démanteler avec l’aide de son voisin, un poissonnier qui lui voue une grande admiration, et sa bande de potes hors normes. Les codes du genre sont plutôt respectés à commencer par le personnage central... Sauf que ses traits de caractère sont poussés à l’extrême voire au-delà ou reposent sur le parfait contre-pied. Le détective taiseux, charismatique qui évolue toujours sur le fil est ici un ex-agent de police qui parle beaucoup trop et aime s’entendre parler, est répugnant, gras et suintant et se vautre dès que possible dans l’immoralité et la mesquinerie les plus totales.
Segura ne recule devant rien. L’un des gags emblématiques de ce premier Torrente est celui qui voit le personnage éponyme sortir une côtelette crue de sa veste et la lancer pour détourner l’attention de personnages posés comme étrangers au cours d’un de ses fantasmes/cauchemars héroïco-racistes... Il joue fréquemment avec les limites et les fait exploser sans aucun complexe, chacune des extrémités étant contre-balancées par l’orgueil, la mauvaise foi, le rire mauvais, la méchanceté veule du personnage qui le rend toujours plus pitoyable. Aspect nourri par l’ambiance du film, ses décors et la dégaine de son personnage principal (le complet qui semble légèrement trop grand, la chemise qui semble ne pas toujours avoir été jaune, la calvitie mal dissimulée derrière un rideau délabré de cheveux gras). Tout est crade, poisseux, ça suinte, un peu comme le Hong-Kong de Limbo mais version Fluide glacial de la grande époque, ce qui renforce son côté gentiment subversif (d’autant plus subversif que le film a été récompensé par deux Goya).
Contrairement à un film comme À bras ouverts qui sous couvert de dénonciation se montre véritablement raciste, odieux, condescendant et complaisant, Torrente s’assoit joyeusement sur le politiquement correct mais s’attaque aussi à l’espagnol moyen et plus largement, si on passe outre certains éléments purement culturels, au réac’ d’Europe occidentale lambda voire le Thénardier de base. Il n’y a pas non plus de fausse bienveillance : on sait que, à l’inverse des personnages de beaucoup de films aux bases similaires, Torrente ne s’amendera pas à la fin et qu’il restera alcoolique, puant, pleutre, raciste, misogyne... et drôle.
C’est souvent bien gras, c’est vrai. Mais du bon. Du savoureux. Et ce qui pourrait vite apparaître comme lourd, glisse finalement assez bien, Segura maîtrisant tout à la fois l’écriture des personnages (l’interprétation rigolarde qu’il fait du sien est tout aussi redoutable), tous finalement aussi marginaux qu’attachants, la mécanique du gag, et l’inattendu. Dans Torrente, y a de la petite culotte qui porte les couleurs de l’Espagne, du cache-téton Atletico, y a de la mort stupide qu’on ne voit pas venir, y a de la ridiculisation de symboles patriotiques, y a des propositions de branlettes mutuelles lors de planques en voitures (gag resservi avec variantes dans tous les épisodes) et du conseil de sage du type : “Hay dos tipos de hombres, los que se lavan las manos antes de mear y los que se las lavan después. Yo me las lavo antes. ¿Por qué ? Porque mi polla es sagrada.” (En gros, "Les hommes se divisent en deux catégories, ceux qui se lavent les mains avant d’aller pisser et ceux qui se les lavent après. Moi, je me les lave avant. Pourquoi ? Parce que ma bite est sacrée"), autre running gag de la saga.
Gros succès espagnol de l’époque, le film a logiquement donné naissance à quatre suites qui, si elles ne rivalisent pas avec le premier en termes d’acidité et de sale, ont toute pour elles de reposer sur des situations nouvelles et de proposer à chaque fois un hommage à un genre cinématographique différent.
Je veux jouer au bingo des clichés avec ce film
Le lien pour jouer, c'est là : https://www.incredulosvultus.top/torrente-le-bras-gauche-de-la-loi
Ou sinon, je regarde juste les 56 ingrédients du bingo de ce film parce que c'est trop cool
Personnage > Agissement
À voix haute > Commente tout ce qui se passe autour – Bagarre > Fracasse une bouteille sur le crâne d’un type – Course-poursuite > Renverse des piles de... pour ralentir ses poursuivants – Course-poursuite > Renverse une pile de... – Lance des insultes depuis le volant de sa voiture – Mort > Meurt dans les bras d’un autre personnage – Passe à travers une vitre : pour s’échapper – S’exerce au tir sur des bouteilles/canettes – Se regarde dans un miroir > Maquillage, nœud de cravate, etc. – Se regarde dans un miroir > S’entraîne, répète... – Stylé > Joue avec un couteau papillon – Tension > Met la main devant la bouche d’un personnage pour l’empêcher de hurler (agression)
Personnage > Caractéristique
Blues > Sa femme, sa fille sa mère ou sa sœur est morte – Maladie > Alcoolique – Mégalo > Parle de lui à la 3e personne – Passion > Nul en drague
Personnage > Citation
Exprime du soulagement > « Bingo ! » – Se plaint > « Je ne veux pas mourir »
Personnage > Héros ou héroïne
Tension > Son fils, sa fille, sa femme, un·e proche est en danger, entre les mains des méchant·es
Personnage secondaire
Sbire neuneu
Réalisation
Caméo – Course-poursuite > Gros plan du pied sur la pédale d’accélération ou de freins – Habillage > Placement de produits – Ouverture > Générique « Balade en ville » – Stylé > Tire en sautant
Réalisation > Accessoire et compagnie
Flasque dans la poche – Stylé > Valise pleine de billets
Réalisation > Audio
Bruit exagéré > Balles qui ricochent contre du métal
Réalisation > Surprise !
Bagarre > Coup de feu qui fait craindre le pire pour l’héroïne ou le héros... jusqu’à ce que la/le méchant·e s’écroule ! – Fibre héroïque > Sauvé·e par un personnage qui, pris de remords, est revenu sur ses pas/sa décision
Scénario > Blague, gag et quiproquo
« Wahouyiaaa » exagéré de karaté (gag) – Coup dans les couilles (gag) – Coup de feu parti par accident (gag) – Des grosses lunettes qui font des gros yeux – Est bourré·e ou drogué·e (gag) – Passe à travers une vitre : éjecté façon saloon (gag) – Pipi, caca, prout – Référence grossière > « Are you talking to me »/« You fuck my wife » devant un miroir
Scénario > Contexte spatio-temporel
Boîte de nuit
Scénario > Dialogue
À voix haute > Se parle
Scénario > Élément
Mort > Stupide – Police > En planque – Porte un micro sous sa chemise
Scénario > Ficelle scénaristique
Amour au premier regard – Cauchemar > Se réveille en hurlant/en sueur/en sursaut – La chatte à Mireille
Scénario > Situation
Agissement > Échanges de banalités avec sa/son collègue bléssé·e (sur un brancard / juste avant le départ en ambulance) – Tension > Torture
Thème > N’importe quoi
Scientifiquement non prouvé > Physique des matériaux soumise à rude épreuve
Thème > Rejets, moqueries ou discriminations
Parler petit nègre – Prostitué·e
Thème > Sexisme hostile à l’égard des femmes
Attitude, remarque et/ou stéréotype sexiste – Objectification sexuelle > Nichons, fesses – Objectification sexuelle > Reluque une femme – Objectification sexuelle > Tenues légères
Thème > Testostérone
Truc de mecs > Donne une leçon de virilité
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Barème de notation :
- 1. À gerber
- 2. Déplaisir extrême et très limite sur les idées véhiculées
- 3. On s'est fait grave chier
- 4. On s'est fait chier mais quelques petits trucs sympas par-ci par-là
- 5. Bof, bof ; pas la honte mais je ne le reverrais jamais ; y'a des bons trucs mais ça ne suffit pas
- 6. J'ai aimé des trucs mais ça reste inégal ; je pourrais le revoir en me forçant un peu
- 7. J'ai passé un bon moment ; je peux le revoir sans problème
- 8. J'ai beaucoup aimé ; je peux le revoir sans problème
- 9. Gros gros plaisir de ciné
- 10. Je ne m'en lasserais jamais