"Love Streams" a des airs de fin de cycle, un cycle qui se terminerait dans le chaos et la mélancolie mêlés. Il y a bien "Big Trouble" qui sortira l'année suivante mais pas besoin de l'avoir vu pour saisir qu'il ne s'agit pas là d'un film portant le sceau de Cassavetes, dont on percevrait presque ici les signes avant-coureurs de la maladie. Entre lui et Gena, c'est une relation totalement destroy enveloppée dans des volutes de fumée et noyée dans des torrents d'alcool. Et pourtant ils ne sont "que" frère et sœur ici, information qui ne sera transmise au spectateur que très tard dans le récit d'ailleurs, alimentant une sorte de surprise pour les habitués du couple.
Le chaos du couple fragmente toutes les strates du film, le montage, les va-et-vient des personnages, les sautes d'humeur, tout, tout simplement. Cela contraint à adopter une position presque en retrait, pour ne pas être trop désorienté à chaque ellipse ou à chaque irruption impromptue de l'irréel dans le champ. Les rêves de Gena... Son tempérament, dans la droite lignée de ce qu'elle a toujours été chez Cassavetes rejoint ici les déboires alcooliques et sexuels du personnage interprété par le réalisateur pour former une épreuve particulièrement éprouvante. Du point de vue du strict scénario, le film peut paraître intensément confus, décousu, mais c'est que les enjeux ne sont pas formulés dans le même espace. Ce point de focalisation sur la troupe de personnage tour à tour intrigue, passionne, révulse ou agace, mais en tous cas il ne laisse pas insensible. Aucun de leurs contours ne sera jamais clairement délimités, leur niveau de détresse étant au final bien difficile à établir, de part et d'autre de la ligne séparant le volontaire de l'involontaire.
On pourrait dire que Cassavetes tourne encore et toujours la même histoire, avec les mêmes souffrances, la même solitude, la même violence sentimentale, la même tonalité amère teinté de tendresse, la même question de l'enfant. Reste que le film évolue vers un registre de plus en plus plurivoque et ambigu, avec une sorte de folie montante qui se terminera par des rires presque hystériques ou sataniques. Et cette ultime image de Cassavetes, impuissant, fou, prisonnier derrière ces vitres battues par la pluie, resteront quoi qu'il en soit très longtemps sur ma rétine.