Blade Runner : Meilleure adaptation de Philip K. Dick au ciné ? Presque.
Cette critique, qui n'en est pas une, sera à mon avis relativement chiante, traitant d'un sujet qui mériterait des heures d'échange. Si jamais vous la lisez, j'admet que je vous admire un peu, moi même, je sais pas si...
(si, comme moi, vous trouvez que ceci constitue une accroche minable pour vous pousser à lire, vous pouvez m'insulter)
Philip K. Dick, l'auteur de SF le plus exploité sur la toile, père posthume de quelques classiques et d'un bon tas de daubes cinématographiques.
De son vivant, cet auteur peine à vivre de sa passion. Il s'exile, fuit autant qu'il le peut les Etats Unis vers des pays où le roman d'anticipation a acquis un statut de vraie littérature et non de simple écrit pour gosse boutonneux bloqué dans une pré-adolescence honteuse.
Dick interroge la perception, traînant sans cesse son fardeau de la question de l'illusion comme un tourment qui ne trouve son absolution que dans les mots écrits. Un soulagement de quelques mois, avant de retrouver le besoin d'en écrire d'autres, d'extirper cette lancinante crasse du "pourquoi ?".
Mort ou vie ?, Qu'est ce qui s'arrête d'exister quand on cesse d'y croire ? Quel réalité apporter aux choses vécues et perçues depuis toujours ? Le recul sur les sensations, Dick le vit et le provoque avec une subtilité brutale par son écriture schizophrénique aussi suggérée qu’immersive. Dick montre sens cesse une société emballée dans un linceul de mensonges, une toile arachnéenne de leurres, l'écho du faux résonnant dans l'absurdité, s'adressant à l'univers autant qu'à personne. Le Walt Dangerfield de Docteur Bloodmoney est aussi désespéré que passionné par l’absurdité de sa propre existence, proférant son émission de radio vers une Terre dont il ne connait pas le public, n'ayant pour seul oreille que l'orifice mécanique du micro dans lequel il parle, parle, et parle toujours, sa raison de vivre. Tout autant qu'est vicieux, anxieux et ingénieux le Talbot Yancy de La Vérité Avant-Dernière qui ne trouve sa raison de vivre que dans la peur de l'inconnu, relatant l'avancée d'une guerre imaginaire par la télévision aux miséreux terrés sous terres. L'être humain est prisonnier de son propre statut social. L'être humain est robotisé (au delà d'être un androïde), fonctionnant par stimulis. L'homme de Dick est un schéma avancé des recherches de Pavlov. Quelle valeur donner à un attachement pour quelque chose ? Quel potentiel possède-t-on pour passer d'un attachement à un autre ? L'être humain a mécanisé ses affects et son ressenti. Rick Deckard dans Les Androïdes rêvent-ils de Moutons Électriques (Blade Runner) ne jure que dans le fait d'obtenir un animal, rêvant par dessus tout d'obtenir une autruche, voir un cheval ! Oh un cheval... Comme son voisin, ce Mr Barbour, sympathique mais semblant si pédant depuis les défaillances du mouton électrique de Deckard. D'ailleurs, une autruche électrique, ou même, oserait-il l'espérer, un crapaud électrique serait une magnifique providence tout autant, tant que le paraître reste de mise.
Si on y croit, alors ça "est". L'humain n'est pas tant amoureux de ce qu'il possède que de ce que son voisin "sait" qu'il possède.
Bref (il était temps). Philip K. Dick a bâti en environ 45 romans et 140 nouvelles un univers, une réelle atmosphère inimitable au parfum d'illusion, provoquant autant de doutes que d'auto complaisance dans le repos douillet d'une fantasmagorie créant une réelle sensation.
Alors bref oui, outre le fait que Total Recall soit bien l'adaptation de la nouvelle "Souvenirs à vendre", pourquoi je m'attarde (et j'ai essayé de faire court) sur l'oeuvre de Dick et un des points qui la caractérisent ? Tout simplement parce qu'en y changeant quelques mots et quelques noms, j'aurais pu parler du cinéma de Verhoeven de la même manière.
Verhoeven s'acharne également à pointer son oeil cynique sur un monde de papier cadeau pimpant. Il mate du coin de l'objectif un peuple de faux semblants, un peuple déshumanisé vers une mécanisation de masse, abreuvé à l'information continuelle, aux jingles radio et spots tv. Un monde où la publicité prend la valeur d'oeuvre, un monde ou la réclame se terre partout et murmure à l'oreille de l'homme sa douce berceuse : "Tu es en sécurité, suis moi et tout ira bien."
Et le cinéma de Verhoeven comme les romans de Dick créent ça, le danger venant de l'excès de sécurité. Une sécurité froide et mécanique, une sécurité de sourds.
En ça, il est à mon sens bon d'oublier les termes "bonne/mauvaise adaptation d'une histoire de Dick au cinéma" pour préférer "bonne/mauvaise retranscription de l'univers de Dick au cinéma".
Bien adapter un écrit de Philip K. Dick de manière pure et dure en un film est quasiment impossible, j'en reste persuadé. Ses écrits sont uniques dans leurs faits mais éclaboussent en jets indépendants de la surface d'un univers cohérent, créé par ce génie visionnaire. Et cet univers avait été incroyablement retranscrit par Ridley Scott dans Blade Runner, un film qui ne raconte pas essentiellement "Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Électriques" mais qui s'avère une véritable fresque peinte de tout un pan de l'univers de Dick. Seulement, on y voit aussi, par comparaison, la patte annonciatrice du réalisateur de Prometheus. La question du "Pourquoi ?" de Dick est muée en un questionnement sur la vie et sa finalité plutôt que sur l'humanité en générale, comme le faisait le roman. En ça, et surtout en ça, les films de Scott et de Verhoeven se différencient. Scott choisit de s'interroger sur le "pourquoi de la vie" alors que Verhoeven chuinte vicieusement le "pourquoi de ce qui est vécu". Il n'a d'autre finalité que le questionnement de chaque moment, instants dissimulés par le voile de l'information, du service imposé et du bourrage de crâne continuel. Il pose les questions de la réalité en jonglant avec avec les sous-entendus et les paroles en l'air, bâtit une histoire aussi brutale et explosive qu'elle est branlante et friable sous le poids des mystères qui reviennent d'autant plus violemment qu'ils restent inattendu sous ce couvert tout à fait Verhoevenesque de gros film punchy.
Et c'est ce couvert punchy qui fait qu'on relègue Total Recall à un stade ridicule de pur divertissement d'action, explosif et léger. Enfin ridicule non, car c'est aussi ce qu'il est, et c'est aussi une caractéristique du cinéma de Verhoeven, et un coté que n'a jamais renié Dick non plus, le divertissement. Une catégorie qu'il choisit pour emballer son cinéma comme il emballe la perception de ses personnages dans le drap du vice et de la consommation, de la fierté fredonnante d'un monde protégé et prodigue, une pure cacophonie transformée en véritable symphonie sous l'oreille affamée de son spectateur lobotomisé dans une orgie faussement informative, emmagasinant ce flot continue et rassurant, où l'annonce d'un génocide chante autant que la promesse de souvenirs de vacances de rêve, comme la preuve d'une vie réelle et sensée.
En ça, j'ai toujours placé Total Recall un cran au dessus de Blade Runner en tant que retranscription de Dick, et j'aurais tellement aimé connaitre l'avis de ce dernier sur le résultat. Le film montre la pauvreté du futur, avec son oeil cru et limpide de voyeur, il mate les bas fonds et la crasse, filmé dans des sous sol bétonnés grisâtres ou des places nimbés de néons bavant leur criardise orgiaque, comme autant d'appels à l'oublie de sa condition et l’échappatoire aux questions. Et c'est utile, car les effrayants "Pourquoi ?", "Comment" et "Où ?" ne cessent de rôder. Quaid les effleure et les élude avec une facilité déconcertante. Une facilité laissant place à l'action, au bourrin, avec des gros flingues et des corps qui explosent. Bien peu subtile que cela pour une interrogation sur l'illusion. Et pourtant... L'homme vivant sa "croisière égo" agent secret fait de cet économie d'auto questionnement l'intrigue même de sa condition. Rêve ou réalité ? Il a choisi. Et Dick aussi avait choisi depuis longtemps, chérissant un monde d'illusions dans lesquelles il se reconnaissait surement plus vivant que les deux pieds sur terre, à l'image du Maître du Haut Château qui pourrait être une partie d'une auto-biographie dissimulée et aussi cynique que belle. Ironique jusqu'au bout lui aussi, comme son alter égo cinématographique qu'est Verhoeven.
Sinon, ce film ça parle d'un gars qui rêve d'aller sur Mars et qui va dans une agence nommée Rekall pour se faire implanter les souvenirs de vacances sur la planète rouge. Mais ça foire, il gueule "JE VOUS CRÈVE !! VOUS ETES TOUS MORTS !! VOUS AVEZ BOUSILLÉ MA COUVERTURE !!!!". Alors on s’aperçoit qu'il est déjà allé sur Mars, et on le jarte après l'avoir endormi. Le gars se réveille, trouve une valise où lui même lui explique qu'il n'est pas lui, qu'on lui a effacé la mémoire et il se fait une demande éloquente : "TU TE CASSES SUR MARS tblbtlb TU TE CASSES SUR MARS tblbtlb TU TE CASSES SUR MARS tblbtlb TU TE CASSES SUR MARS...". Alors il se casse sur Mars, rencontre Melina, la fille de ses rêves, lui explique que sa libido marche surtout aux blondes ces derniers temps, y a des mutants partout et il cherche Kuato le chef de la rébellion pour ouvrir son âme et sauver Mars. C'est génial, ça pète de partout, y a du sang et des mutants à gogo qui flinguent la police martienne, c'est trop fun. Et y a Benny le chauffeur de Taxi qu'à 5 enfants à nourrir, ou plutôt 4, ou plutôt... bref. Et Lori pour qui Quaid est la plus belle mission de sa vie, elle devra considérer bientôt le divorce éclatant... Quaid a un hologramme aussi et il joue à Flashback avec Melina en faisant des blagues aux méchants, "HAHAHAHA vous croyez que je suis l'vrai Quaid ? GAGNÉ !" tacatactactac. Il verra Richter à la fête. Ciel bleu sur Mars.
Voilà, ça veut rien dire, c'est n'importe quoi, et je m'excuse pour ce dernier paragraphe qui, étrangement, ressemble au résumés qu'on trouve en 4ème de couverture sur les romans de Philip K. Dick.
Total Recall fait, dans la dissimulation de sa réelle profondeur, une mise en abîme aussi juste qu'ironique de l'univers qu'il retranscrit.