Encore un 5 baccara, comme à chaque fois que je tombe sur une oeuvre qui me laisse mitigé.
Inconditionnel d'espionnage, je ne connaissais pas la série animée des Totally Spies.
Plusieurs amis, connaissant ce goût cinématographique qui est le mien pour le genre méconnu et tentaculaire de l'espionnage - méconnu, oui! Pour vous en convaincre, cherchez le donc parmi les genres proposés sur SC et bien d'autres sites -, m'ont conseillé de le découvrir.
Résultat?
Oui et non.
J'entre de façon royale dans cet univers avec ce long-métrage introduisant la série animée et cette question ce pose à moi: Moonraker ou Zoolander?
***Moonraker***
Totally Spies, c'est avant tout une intéressante rencontre entre les Drôles de Dames et Moonraker.
Comme dans les séries et la saga des Anges de Charlie, il est question de trois personnages féminins qui travaillent pour un patron mystérieux. A rebours de ces dernières, Totally Spies met l'accent sur l'espionnage, comme d'ailleurs son titre l'indique.
Rappelons-nous que Kelly Garett, Jill Munroe, Sabrina Duncan et consoeurs ne sont pas réellement des espionnes: ce sont des détectives au service de l'Agence Towsend qui, contrairent au Woop, n'est pas une agence gouvernementale. S'il leur arrive de contrer des complots de type espionnage, les Drôles de Dames s'occupent en majorité d'affaires policières. Ce sont donc, à l'instar d'un Simon Templar, d'un Nick Carter ou des Persuaders, ce que j'appellerais des para-espions, autrement dit des héros policiers, espions à l'occasion.
Totally Spies rattrape la déception que peut causer ce statut mi-figue mi-raisin en créant des équivalents au Drôles de Dames, équivalents "totalement espionnes". D'où l'ingénieux titre.
Cette trouvaille mise en avant, attachons-nous à présent à l'ingéniosité apparente de l'intrigue.
Totally Spies est une impensable parodie de Moonraker où un méchant mégalo part dans l'espace avec un échantillon de race humaine sélectionné - un méchant trans-humaniste donc - et cherche à détruire le reste de l'humanité, qu'il considère comme un rebut, depuis une station spatiale.
Moonraker, qui présente ce synopsis, est un des James Bond qui divise les fans. Mais il reste un excellent 007. Son sérieux s'appuie sur une conception eugéniste du méchant, Hugo Drax, et se nuance au contact de sa mégalomanie et de sa fantaisie.
Totally Spies prend le parti d'en rire et de railler, de ne jamais quitter le rire et la satire. De là une intrigue semblable sur fond de fashion stream pour ce qui est de la caricature. Ce n'est pas sans raison que le méchant, Fabu, est doublé par Karl Lagerfeld himself et que, dès le début de l'histoire, l'accent est mis sur les thèmes du paraître et de la groupie.
***Zoolander***
Mais hélas, le film d'animation pèche par le ridicule attribué à tort à son public cible et par l'overdose caricaturale du monde de la mode et du showbiz.
Ce qui le rapproche du dyptique Zoolander -espérons que Ben Stiller n'ira pas plus loin - où des mannequins para-espions bas de plafond sauvent le monde en déjouant des complots ourdis par de méchants barons de la mode. C'est drôle mais c'est de l'humour de bas-étage.
Et c'est à cet humour par trop farcesque que l'on doit une baisse d'intérêt pour le film.
Que dire au-delà de ça, si ce n'est que l'on restera divisé quant au cochon sidekick et à l'attaque d'un rouleau de sushi géant?
Eh bien, qu'il faut aimer l'esprit manga, tout simplement. Car certains codes du manga - les gouttes au front, les éclairs - ainsi de certaines déformations des traits des personnages peuvent perdre ou déplaire au spectateur. Un exemple personnel: ayant bien accroché au personnage de Sam, la rousse, quelle ne fut pas mon horreur de la voir affublée d'une dentition de requin carnassier sur une des images du film la présentant en colère. On vire vampire-requin à se fâcher dans Totally Spies. Cela sans compter les incohérences dues à la volonté de rappeler au spectateur qu'il s'agit DU LONG-METRAGE, comme la métamorphose de Clover, la blonde, en géante écrasant le patron du Whoop, juste pour symboliser sa colère. Certes cela s'inspire des choix symboliques de plans pour peindre les rapports de force au cinéma mais il y a ici exagération. Une exagération qui mène au ridicule.
Ridicule ô combien agaçant lorsqu'il s'agit d'affirmer que son public cible est la lycéenne restée très gamine.
Car c'est là plus qu'ailleurs que le film qui a su réécrire les Drôles de Dames se fait redépasser par son modèle.
Tandis que Kelly, Jill et Sabrina sont des femmes douées non reconnues pour leur aptitudes et récupérées par l'astucieux Charlie, les Spies - Sam, Alex et Clover - sont trois lycéennes marginales, un peu bébètes embauchées malgré elles par un homme qui semble ne pas savoir lui-même ce qu'il leur trouve.
Ce qui est dommage car le film et la série proposent trois jeunes femmes bien léchées: Clover, la blonde accro au shopping, Sam, la rousse passionnée de lecture et de littérature et Alex, la brune hyper-sportive. Pourquoi ne pas plus exploiter ces identités, ces centres d'intérêt? Pourquoi se contenter d'une situation commune de nouvelles élèves du lycée pour expliquer leur choix de se rapprocher et de devenir des amies?
Parce que le film vise des lycéennes qu'il enferme dans ce rôle de petite cruche, tout juste bonne à s'empourprer devant un garçon, à stresser devant les devoirs qui lui reste à faire et les résultats d'une balance, à être la victime d'une Girl-team leader, et à acheter des fringues.
On aurait davantage apprécié de voir ces marginales devenir l'exemple de l'individu féminin qui sort du lot consumériste qu'une agence secrète engagerait pour sa maturité et son intelligence. La série comme son film pilote gagneraient à donner cet exemple à son public lycéen féminin et s'adresserait alors à un plus large public.
Dommage qu'ils ne se bornent qu'à produire du divertissement classé "pour fille"... A vous faire rejoindre la cause de la théorie des genres!
**Zooraker**
Taper sur le monde de la mode et draguer les lycéennes est insuffisant pour produire la réussite que l'on pourrait attendre d'un pastiche moderne - même adolescent - des Drôles de Dames.
On peut se laisser aller à regarder, ce n'est pas désagréable. Mais sans plus, ce n'est pas mémorable.