TOTO ET SES SŒURS soulève un réel paradoxe émotionnel qui en fait une œuvre difficile à appréhender. C'est un film qui laisse une sensation de malaise. C'est l'histoire de petits miracles qui éclosent au milieu des ténèbres et il est très difficile de se donner le droit de juger ce qu'on voit... Nous sommes dans l'exposition sans artifice d'une réalité brutale dont la beauté de la pulsion de vie réussit tout de même à jaillir. Est ce le récit de l'enfer ou celui de l'espoir?
Alors qu'a la lecture du synopsis on pense à une fiction touchante et tendre, le premier long métrage d'Alexander Nanau est un documentaire choc qui nous plonge sans complaisance dans le quotidien d'une famille de Roms par le prisme d'un jeune garçon Totonel et de ses deux grandes sœurs.


Pas de scenario écrit ni de mise en scène, Alexander Nanau a posé sa caméra pendant 14 mois dans l'existence douloureuse et solitaire de quatre êtres humains qui se battent pour survivre . Il livre un film de « Cinéma direct » et se contente d'un discret montage pour témoigner du sort réservé aux enfants « des rues » de Roumanie où chaque jour passé est une victoire sur la détresse qui règne. TOTO ET SES SŒURS nous inflige donc une expérience difficile. Certaines images sont insoutenables, non qu'elles soient violentes mais elles nous exposent à une douleur viscérale et à une indignation profonde. On se demande à plusieurs reprises s'il sera possible de poursuivre le visionnage, on hésite, mais on s'accroche et pour cause ! Il serait facile quitter la salle et de regarder ailleurs mais on ne peut se résoudre à quitter des yeux ces enfants réels qui se débattent et à qui la vie n'a rien offert si ce n'est le pire des combats. Spectateurs en conscience , nous battons nous aussi pour tenir, jusqu'au bout, et accompagner ces petits êtres à la force inouïe jusqu'au bout de notre voyage avec eux.


Totonel a 10 ans et ce petit garçon est plein de joie. Son sourire franc et ses yeux malicieux nous les découvrons dès la scène d'ouverture où il apparaît avec ses sœurs dans un appartement vétuste où celles-ci font le ménage. Elles ne sont pas beaucoup plus vieilles que lui, elles ont 13 et 15 ans. Dans la pièce il n'y a pas de lit mais un canapé jonché de couvertures salles. Totonel torse nu essaie de s’y endormir mais un groupe d'hommes fait irruption. Des oncles ? Des amis ? On ignore l'heure qu'il est mais ils envahissent les lieux , salissent , se rependent et s'injectent de l’héroïne. Andréa la plus jeune sœur fuit pour aller dormir chez une amie , l'autre reste et malgré sa colère elle se résigne et s'injecte une dose dans la main...La pièce se remplit petit à petit de bouchons de plastique où reposent la drogue, de fumée de cigarettes et de seringues jetées au sol. Totonel ne dîne pas , ne se repose pas , il attend , il regarde , personne ne le voit pourtant la pièce fait 8 m2. La nuit va être longue... Celle ci comme toutes les autres...


TOTO ET SES SŒURS c'est une plongée dans la quintessence de la résilience humaine. La lumière de ses jeunes êtres nous noue la gorge et on parvient à peine à croire à leur force surhumaine. Toto et sa plus jeune sœur Andréa ne mangent pas à leur faim -un œuf à la coque lorsqu'il y en a - mais ils se nourrissent insatiablement d’éducation et d'art. L’école qui les prend en charge, puis l’orphelinat, leur apportent la pitance de l'esprit et de l’âme qui les maintient en vie et les rend heureux. Alors que leur sœur aînée ne parvient pas à sortir de l'emprise de la drogue et de ce petit appartement qui est son seul repère, Toto et Andréa apprennent à lire, à danser, à écrire, à exister tout simplement. Ils pourront enfin écrire à leur mère incarcérée depuis 6 ans pour trafic de drogue.


De l'abandon insupportable de ces enfants par la famille de sang à la construction d'un lien fondamental dans l’école et l’orphelinat, le parcours de ces enfants des rues est aussi insupportable que majestueux. Le documentaire regorge de petits moments où la magie de la vie reprend ses droits, ou les yeux pétillent, où la joie éclate. Mais malgré leur ascension fulgurante le long de ces quatorze mois d’immersion, les sourires ne parviennent pas à nous satisfaire. Ils nous heurtent, nous bousculent et nous bouleversent. Être enfant ce n'est pas cela. Et c'est bien cette dimension qui est insupportable dans le film de Nanau, l'enfance y est sacrifiée.


La réalisation est extrêmement sommaire, une camera numérique et un caméscope pour quelques séquences en autoportrait nous baignent dans une crudité visuelle. Lumière et son direct, point de vue à hauteur d'homme, il n'y a pas d'effet de réalisation ni de grammaire cinématographique. On filme les corps et les visages en face , sans jamais les accabler par une contre-plongée qui aurait été facile. On regarde nos personnages dans les yeux. Seul le montage qui a duré prêt d'un an semble avoir été balisé. Les séquences en « selfies » filmées caméscope à la main par les deux jeunes héros nous permettent de respirer, de souffler. Ces plans sont une irruption nécessaire de la complicité et de l'amour qui lie ces enfants et permettent de supporter la plongée d'une heure quarante dans les eaux profonde de l’atrocité la plus totale, l'abandon, la drogue et la souffrance.


Alexander Nanau restitue avec distance et sans parti-pris la réalité Roms se contentant de faire etat d'une situation sur un temps donné. Si la distance à laquelle il s'attache est juste et nécessaire elle est toutefois oppressante et on suffoque souvent devant les images. Le genre documentaire propulse le film dans une violence qui peux le rendre inaudible, parce qu'on a souvent envie d’arrêter de regarder. Un film de fiction inspiré de faits réels bien mis en scène, ou simplement un montage et une réalisation plus subjective et suggestive aurait peut-être donné un film plus accessible ou du moins assurément plus distribué.


TOTO ET SES SŒURS ou la chronique intolérable d'une enfance avortée en Roumanie, laisse un goût extrêmement amère et même douloureux. Une seule idée nous obsède à la sortie, celle de l'Amour qu'on doit à l'enfance.

LeBlogDuCinéma
8
Écrit par

Créée

le 25 nov. 2015

Critique lue 671 fois

7 j'aime

Critique lue 671 fois

7

D'autres avis sur Toto et ses soeurs

Toto et ses soeurs
LeBlogDuCinéma
8

Critique de Toto et ses soeurs par Le Blog Du Cinéma

TOTO ET SES SŒURS soulève un réel paradoxe émotionnel qui en fait une œuvre difficile à appréhender. C'est un film qui laisse une sensation de malaise. C'est l'histoire de petits miracles qui...

le 25 nov. 2015

7 j'aime

Toto et ses soeurs
Elvisant
8

Joie et tristesse

Toto et ses soeurs fait partie de ces films qui vous font un tel choc que, en sortant de la salle obscure, il est nécessaire de reprendre son souffle et respirer. En effet, le documentaire de Nanau...

le 11 janv. 2016

4 j'aime

2

Toto et ses soeurs
Clairette02
8

How did you get to save me from this desolate wasteland

Dans le cadre du Prix France Culture Cinéma des Etudiants, quelques mots sur mon film favori parmi la sélection, Toto et ses soeurs, d’Alexander Nanau. Un documentaire dont on n’a malheureusement peu...

le 9 mai 2016

3 j'aime

1

Du même critique

Buried
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Buried par Le Blog Du Cinéma

Question : quels sont les points communs entre Cube, Saw, Devil, Frozen et Exam ? Ce sont tous des films à petit budget, dont le titre tient en un seul mot, et qui tournent autour du même concept :...

le 21 oct. 2010

43 j'aime

4

The Big Short - Le Casse du siècle
LeBlogDuCinéma
7

Critique de The Big Short - Le Casse du siècle par Le Blog Du Cinéma

En voyant arriver THE BIG SHORT, bien décidé à raconter les origines de la crise financière de la fin des années 2000, en mettant en avant les magouilles des banques et des traders, on repense...

le 16 déc. 2015

41 j'aime

Un tramway nommé désir
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Un tramway nommé désir par Le Blog Du Cinéma

Réalisé en 1951 d’après une pièce de Tennessee Williams qu’Elia Kazan a lui-même monté à Broadway en 1947, Un Tramway Nommé Désir s’est rapidement élevé au rang de mythe cinématographique. Du texte...

le 22 nov. 2012

37 j'aime

4