Dans le cadre du Prix France Culture Cinéma des Etudiants, quelques mots sur mon film favori parmi la sélection, Toto et ses soeurs, d’Alexander Nanau. Un documentaire dont on n’a malheureusement peu entendu parler.
Toto et ses soeurs se déroule dans la banlieue de Bucarest, dans la communauté rom. Totonel « Toto » est un petit garçon vivant dans un climat familial particulièrement difficile. Sa mère est en prison, ses oncles viennent se droguer chez lui, son père est parti. Il se retrouve donc seul avec ses deux soeurs, Andreea et Ana. Le réalisateur s’attache à montrer le quotidien de cet enfant, ses peines, ses journées à l’école, puis ses espoirs – il participe à un concours de hip hop, son unique échappatoire.
Décrit comme cela, on s’attend à un documentaire misérabiliste. Ce n’est pas le cas. Certes, Alexander Nanau ne nous épargne rien : il filme l’appartement dévasté de la famille, la banlieue en ruine, les oncles qui se droguent littéralement à côté de Toto, une des soeurs accro à l’héroïne. Mais il a l’intelligence de ne pas utiliser de voix off et quasiment pas de musique, ce qui empêche le documentaire d’être larmoyant. Le réalisateur s’efface et laisse une grande place à ses personnages. Nanau a déclaré à ce propos:
« Dans les documentaires habituels, on sent la présence du réalisateur
entre le public et les personnages. Je voulais tester mes limites et
devenir invisible pour le spectateur, pour qu’il puisse interagir avec
les personnages. » (source)
Même si certains passages sont très durs et choquants, Alexander Nanau nous montre aussi des scènes d’un grand optimisme au sein d’un film assez sombre. Toto qui découvre le hip-hop (ce en quoi il m’a rappelé l’héroïne de Fish Tank, qui avait elle aussi un quotidien difficile et une passion pour la danse), des scènes complices entre Andreea et Toto, des jeux dans la neige où les enfants oublient pendant quelques instants leur quotidien… Au milieu du chaos, Toto et Andreea luttent pour un meilleur avenir et font preuve d’une résilience extraordinaire.
Toto et ses soeurs est un documentaire mais se présente comme une fiction. On aimerait d’ailleurs que tout ce que l’on voit ne soit pas vrai. Souvent, on doit se rappeler que Nanau a filmé une véritable famille, pendant près d’un an. Certaines scènes mettent mal à l’aise, tant on a l’impression de s’immiscer dans l’intimité de cette famille. Je pense notamment à une scène très violente psychologiquement, filmée avec un caméscope, par Andreea elle-même, durant laquelle elle se dispute aves sa soeur qui se laisse dépérir. Comme une impression de voyeurisme… Néanmoins, le procédé était intéressant: Nanau donne la caméra aux enfants et les laisse montrer leurs vies. Il s’en servent de journal intime.
Le film privilégie le réel, le naturel, le spontané, notamment grâce à cette caméra donnée aux enfants. On se sent proches d’eux, concernés par leur vie et ils sont tous les trois très émouvants. On ne peut qu’être admiratifs de leur courage, aussi: Andreea qui veut offrir un meilleur futur à sa famille, qui essaie d’améliorer sa lecture, Toto qui apprend à danser.
Au delà du quotidien de cette famille, Nanau évoque des thèmes de société, qui ne sont évidemment pas circonscrits à la Roumanie: l’éducation à l’école, le rôle des parents, les liens familiaux… Toto et ses soeurs est un documentaire engagé, sincère, émouvant, sur un pays européen qu’on connaît peu et sur une communauté devant laquelle on ferme trop souvent les yeux.
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