Outre le souvenir détestable laissé par Rengaine (2012), dont l’écriture faiblarde véhiculait une kyrielle de caricatures, il n’y avait pas d’appétence particulière à découvrir le nouveau long-métrage de Rachid Djaïdani qui, à son tour, semblait promettre son lot de clichés. D’une part, la rencontre entre un rappeur parisien de 20 ans qui doit se mettre au vert loin de la capitale et un pur beauf de province, père en fait de son producteur à qui il doit servir de chauffeur ; et d’autre part le motif surexploité du road-movie. Aussi bien le postulat de départ que le dispositif du voyage propice au rapprochement, à l’ouverture et à la réconciliation laissaient-ils entrevoir d’entrée vers quoi Tour de France allait nous conduire.
Tout ceci est vrai, presque en-dessous de la réalité. Les poncifs sur le langage de banlieue (pauvreté du vocabulaire et inexistence de la culture) et sur l’ostracisme à l’origine des clivages qui déchirent aujourd’hui le pays sont bien au rendez-vous. Tellement d’ailleurs qu’on peut soupçonner le réalisateur de tous les convoquer et s’en repaitre pour mieux les dénoncer et les dépasser en montrant combien les certitudes de chacun qui se refuse au dialogue et à l’échange les nourrissent.
Alors, lesté de tant de défauts, de manque de subtilité, comment se fait-il que l’alchimie aussi improbable qu’artificielle finisse par opérer et le résultat nous cueillir ? Sans doute, et même si la raison en est naïve ou angélique, le film fait énormément de bien en offrant à l’époque une respiration, un arrêt sur images, une espérance qui tranchent avec la production actuelle. Tour de France fait aussi chaud au cœur parce qu’il s’implante dans les paysages solaires et traversés de perspectives – donc d’avenir et de d’espoir – des ports et des bords de mer, dont la lumière et la palette chromatique suffisent à rendre belle la moindre photo.
Mais avouons-le, ce qui chavire et émeut, c’est d’évidence la présence douloureuse et hors-normes de Gérard Depardieu. Son interprétation renvoie directement à deux de ses récentes participations. L’une ratée et pourtant semblable dans la définition de son personnage (veuf, relation complexe avec son fils et grande virée sur les routes françaises) dans Saint-Amour en début d’année – ratée parce que l’acteur était laissé en roue libre sur un scénario qui s’essoufflait rapidement. L’autre terriblement émouvante et forte dans Valley of Love où il poursuivait avec Isabelle Huppert le fantôme de son fils. Alors qu’il est devenu ce corps encombrant et disgracieux, corps dont il parait ne plus se préoccuper comme de son apparence physique et sans doute de sa santé, le comédien affiche une fragilité et une douceur désarmantes et bouleversantes.
On a évoqué récemment La Mort de Louis XIV comme le film testamentaire de Jean-Pierre Léaud. On ne peut s’empêcher de voir dans les derniers opus de Guillaume Nicloux et Rachid Djaïdani une démarche identique où la lassitude, l’épuisement et la résignation, sans parler du chagrin inconsolable, deviennent les moteurs du choix des rôles et de leur interprétation. C’est donc pour ses grands moments d’émotion (l’acteur chantonnant Je suis malade de Serge Lama, écoutant en pleine mer la voix de sa femme morte) qu’on est en effet secoués par Tour de France, oubliant avec indulgence les facilités et les faiblesses d’un message attendu dont on aura néanmoins l’honnêteté de dire qu’il est apaisant. Le cinéma comme un baume et une halte dans le tumulte du monde.