Tous les autres s’appellent Ali est sorti en plein dans les années 1970, période faste pour Fassbinder. Le cinéma de ce dernier est traversé de diverses influences regroupant le cinéma policier, la Nouvelle Vague et le mélodrame américain, notamment les films de Douglas Sirk, grande idole du réalisateur allemand. Tous les autres s’appellent Ali est d’ailleurs une transposition de Tout ce que le ciel permet à l’Allemagne des années 1970. C’est donc l’occasion pour Fassbinder de développer une vision d’ensemble du lien social, dans l’Allemagne post-2nde guerre mondiale, ravagée par les préjugés et le fort communautarisme.

Ce contexte social est mis en exergue par le personnage d’Ali, immigré marocain, et celui d’Emmi, vieille femme de ménage vivant dans la solitude, abandonnée de ses enfants dont la vie moderne les a entraînés dans le tout urgent. Ces deux personnages tombent amoureux et vont alors défier toutes les réactions de haine et d’exclusion s’abattant sur eux. Le film devient ensuite plus complexe quand ils succombent eux-aussi à ces préjugés, au moment où ces derniers se mettent à changer.

Il faut bien prendre en compte le genre du film. Le mélodrame permet d’exacerber des situations dramatiques, tirer l’essence même du drame, jusqu'à le transposer dans l’imagerie ou la musique du film dans le seul but de provoquer la plus forte émotion chez le spectateur. Malheureusement, c’est un genre sous-estimé, soumis aux critiques pour sa soi-disant mièvrerie. Le plus important est de faire du cinéma. Tous les autres s’appellent Ali est un film intègre, avec des personnages sincères et émouvants. Il n’est pas un film politique, seul le contexte l’est, et c’est ce dernier qui réunit les deux personnages terriblement seuls au départ, qui ajoute à la sincérité du lien qui existe entre eux. L’empathie est créée dès le départ par cette réunion des âmes, le mélodrame n’a plus qu’à dénouer ses ressorts ; quoi qu’il pourra se passer entre Ali et Emmi, le spectateur vivra au rythme de l’histoire amoureuse. Une fois ces choix narratifs posés, Fassbinder va pouvoir allier l’histoire dramatique à la réflexion sociale, qui lui permet de moquer les racismes ordinaires (l’épicier, les voisines) et d’intégrer le mélo dans le réel. Plus tard, quand cette société si dure auparavant, fera enfin preuve de tolérance, la marginalisation qui permettait l’union devra faire face à la normalisation et l’apparition des différences, cette fois-ci au sein du couple.

C’est là toute la force du film, éviter tout manichéisme, et se baser sur la seule étude comportementale et in fine sur une profonde humanité. La dernière scène montrera un Ali malade, l’amour triomphe alors dans les larmes ; achevant ce mélodrame dans un doux sentiment de mélancolie.
Tanguydbd
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le 28 déc. 2013

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