Le prégénérique s'ouvre sur une scène très colorée filmée au ralenti, scène nocturne, aux couleurs chaudes, captant une danse lascive, au bord du vertige... Scène qui va revenir, hanter le film, et tout à la fois lui donner sa structure, au fur et à mesure des dévoilements auxquels elle sera attachée.
Les bases narratives sont posées sans détour : on découvre Dorothy, adolescente type, très sensiblement incarnée par Manon Capelle dont on se souviendra, malheureuse au sein d'une famille à laquelle rien ne manque en apparence ; le personnage de sa grande amie et confidente nous permet vite de savoir qu'elle doute de la paternité de l'homme dont elle porte le nom et voudrait identifier son "vrai" père. Et on retrouve le très apprécié Bouli Lanners, légèrement aminci et plus intense que jamais, en détective privé à peine remis de deux déchirures, une rupture amoureuse et la mort de son père. Depuis son retour en Belgique, le principal objet de ses enquêtes semble être sa fille, qu'il traque d'un zoom amoureux.
Les deux piles du pont ainsi fondées, le récit va pouvoir se dérouler à la manière d'un ouvrage architectural dont on suivrait la progression. Soutenant la construction du tablier sur lequel père et fille vont pouvoir s'avancer l'un vers l'autre, de nombreux trajets sillonnent le film, parcours effectués en vélo ou en voiture, solitairement ou à deux, voire plus, portés par une musique rythmée et entraînante, disant l'élan et la quête de l'autre.
Toute quête progressant dans l'ombre et connaissant des tâtonnements, le titre va ainsi, au fil de l'œuvre, passer par des interprétations successives : les nombreuses scènes nocturnes, traversées de doutes, d'interrogations, de questionnements, pourront d'abord offrir une première planche interprétative, les idées tenant lieu de chats dans la citation complète : "La nuit, tous les chats sont gris". Toutefois, la scène récurrente de débauche dansée, hantant le souvenir maternel, va proposer une autre piste, plus convaincante, renvoyant à l'indétermination possible du géniteur dans certaines circonstances.
Le final ouvrira sur une compréhension plus flamboyante encore, à croiser peut-être avec une autre expression féline, liée elle aussi à un contexte obscur : "Une chatte n'y retrouverait pas ses petits". En effet, lorsqu'un mouvement réciproque d'adoption est lancé, lorsque le pont est jeté d'un personnage à un autre, il n'est pas dit qu'une quelconque vérité biologique puisse décider d'un coup d'arrêt. Le film conclut ainsi superbement à la supériorité de l'humain sur le scientifique et à l'inaliénable liberté de l'homme, du moment qu'elle a trouvé le lien qui fera éclore sa puissance. Ainsi ce dialogue, magistral, entre le père et sa fille en détresse, et alors que lui l'a ceinturée de ses bras :
"J'suis pas bien, j'sens plus rien !...
- C'est pas grave ! J'te sens, moi. Ça va aller..."