Tout va mal

All shall be well, "Tout ira bien" dans sa traduction française, jusqu'au moment où le capitalisme et les systèmes normatifs viennent pourrir le deuil d'Angie pour celle qu'elle a aimée toute sa vie. La mort subite de Pat est alors l'occasion de faire jaillir, à l'image du plan sur la bouilloire à ébullition au début du film, tous les systèmes/normes qui pèsent et alienent nos existences, à travers un film parsemé de plans magnifiques et de silences évocateurs, comme pour signifier que les grands drames de la vie se font sans bruit :

- Le capitalisme, d'abord, qui revient symboliquement ronger le corps encore frais d'Angie par l'intermédiaire de sa famille. Le souvenir de Pat, qui a fait fortune dans le textile, devient alors seulement un instrument argumentaire destinée à faire pencher la balance pour tel ou tel choix potentiellement profitable pour l'un des deux camps. Cependant, même si certains membres de sa famille se montre véreux, leur avarice se comprend aussi par leur situation économique compliquée et qui viennent s'entremêler à d'autres formes de structures sociales, l'une des grandes réussites du film étant d'avoir réussi à montrer comment elles s'entremêlent toutes et aliènent les individus

- La famille patriarcale et le couple hétérosexuel comme modèle social qui prédominerait complètement sur tout autre forme de relation sociale entre les individus : l'appartement dans lequel vit Angie revient automatiquement à la famille de la défunte, a fortiori le frère de la défunte, le choix de disposer les cendres de Pat dans une urne imposée tacitement par sa famille à défaut de la volonté de la défunte qui voulait qu'elles soient dispersées dans la mer, les amis placés au dernier rang lors de la célébration funéraire... D'autant plus qu'Angie est toujours montrée, autant par sa belle famille que la sienne, comme la "meilleure amie", manière de refuser l'existence de l'amour homosexuel dans la société, jusque dans les documents juridiques où le nom d'Angie ne figure jamais car la législation hongkongaise ne reconnaît pas juridiquement les relations entre deux personnes du même sexe. Les contradictions et l'impossibilité du modèle patriarcal (capitaliste) comme moyen d'émancipation sont d'ailleurs montrés dans le film à travers leurs principaux bénéficiaires : plusieurs fois, les hommes sont renvoyés à leur rôle de pourvoyeur et essentialisé comme tel quand ils n'y parviennent pas, du père de famille qui réaffirme sa masculinité en affirmant qu'il peut payer l'entièreté de l'urne funéraire de sa sœur après que s'être fait blâmer pour la fermeture de son restaurant, jusqu'au fils qui pense que sa copine veut sûrement le quitter à cause de sa pauvreté

- La religion et ses superstitions, liés elles aussi au capitalisme dans le film, d'abord par le choix de mettre les cendres dans une urne pour favoriser la fortune des descendants de la famille et faire supposément reposer en paix l'âme de la défunte. On comprend très vite que c'est surtout un moyen pour les religieux qui offrent ce genre de services de s'enrichir sur la peur des familles de vivre dans la pauvreté et de les condamner à l'infortune, qu'on devine aussi motivée par une forme de performance sociale

- Les normes juridiques, point de départ de l'érosion des liens entre Angie et sa belle famille, sont montrées comme froides et en inadéquation totale avec les affects des individus : quoi de plus compréhensible que de ne pas penser à préparer son propre testament et de se penser comme mort quand on a encore des projets ? L'appareil legislatif et ses exécutants, tels le notaire ou la banquière, se font les alliés d'une société injuste : le frère de Pat se retrouve alors dans la possibilité d'exclure de l'appartement la copine de sa défunte sœur et se voit dépositaire de leur compte bancaire commun dans une société où le mariage entre deux personnes du même sexe n'est pas autorisé

Face à un constat pareil, qu'est ce qu'il nous reste à chérir ? Ray Yeung nous offre la réponse : l'amitié, seul parenthèse dans un film écrasant où les amies d'Angie, lesbiennes également et très proches du couple, sont les seules à même d'offrir un soutien et un deuil sincère envers Angie et Pat

C'était vraiment mon film parfait pour commencer l'année autant dans son propos que sa réalisation que j'ai trouvé exquise 🤞conclusion : merci Ray Yeung, espérons nous défaire des abstractions qui pèsent sur nos vies et chérissons nos amitiés !