Cher Ridley,


Tu es l'un des derniers grands réalisateurs, avec Steven Spielberg et Clint Eastwood, à me faire venir en salle sur ton seul nom, de manière systématique, quelque soit tes projets, du plus fantastique, à celui, a priori, plus classique.


Et j'y vais très souvent, vu la cadence presque infernale à laquelle tu enchaînes les tournages. Surtout à quatre-vingts ans. Combien peuvent en dire autant ? Une telle boulimie interpelle, garante de ton envie du média cinéma, alors même que tu réfutes la qualité d'art à ce que tu as toujours identifié comme un boulot de businessman. Tout comme la variété de ta filmographie, car tu ne livres jamais le même film, alors que quelques genres bien définis semblent être devenus des marottes, comme la science-fiction.


Ton dernier effort, Tout l'Argent du Monde, est (poliment) attendu pour de mauvaises raisons. Je les évacuerai tout de suite et brièvement, en admirant le fait que tes reshoots, effectuées seulement à quelques semaines de la sortie, ainsi que ton acteur "principal" se fondent naturellement dans le film et l'interprétation d'ensemble, comme si tout cela faisait partie du projet dès l'origine.


Christopher Plummer se montre même l'un des atouts principaux de ton oeuvre, incarnant un monstre froid dans son rapport trouble avec le monde et dont les interactions s'envisagent toujours comme négociations et transactions. Dans une vie dédiée à l'argent dans chacun de ses aspects, jusqu'aux plus sordides. Papy fera de la résistance dans une violence sourde, opposé dans son portrait à sa belle-fille qui défie littéralement un empire, comme dans ton péplum d'il y a plus de quinze ans, dans sa tentative de libérer son fils. Cet affrontement donne tout son sel au film, complétant le portrait esquissé du bonhomme jusque dans son absence. Car s'il n'est là que finalement peu de temps à l'écran, il pèse sur Tout l'Argent du Monde de toute son aura, de tout son charisme étrange et dévoyé.


Dommage cependant que tu aies décidé d'élargir ton film et de le faire constamment balancer entre le portrait de ce milliardaire et la peinture de l'enlèvement de son petit fils. Car cette seconde partie est plus classique, un peu moins intéressante pour tout te dire, même si cela se laisse suivre sans difficulté. L'intensité du film y perd donc un peu. Une tare dont n'était pas affectés les faits plus ou moins réels dont tu t'es emparé dernièrement, comme le thriller Mensonges d'Etat ou encore la chronique, déjà 70's, d'American Gangster.


Alors même que tu filmes toujours aussi bien, ce coup-ci dans un style dépouillé mais à la photographie magnifique, en offrant quelques superbes plans (des journaux pris dans le vent qui s'engouffrent derrière une porte ouverte) et des séquences parfois haletantes, voire assez fortes, tout droit sortis de tes désormais célèbres Ridleygrammes rendus célèbres par les suppléments de tes DVD.


Mais Ridley, voir la malice avec laquelle tu termines Tout l'Argent du Monde, dans une pirouette cynique et purement mégalo qui montre en un seul plan tout le caractère absolutiste de Getty, a quelque chose de réjouissant. Car si ta force n'est peut être plus celle qui t'animait du temps de ton apogée, il est constant qu'il reste à l'écran, et dans la mémoire de ton public, ta maîtrise et, surtout, ta frénésie d'expression cinématographique.


Autant d'énergie de la part d'un octogénaire ne peut que laisser rêveur... Et espérer qu'on puisse en profiter encore longtemps.


Restant à l'affût de ton prochain projet, qui ne saurait sans doute tarder,


Bien à toi, cher Ridley,


Behind_the_Mask, week end à Rome.

Behind_the_Mask
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Une année au cinéma : 2017

Créée

le 27 déc. 2017

Critique lue 2.3K fois

38 j'aime

6 commentaires

Behind_the_Mask

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

38
6

D'autres avis sur Tout l'argent du monde

Tout l'argent du monde
JorikVesperhaven
5

Scott passe à côté de son sujet dans une reconstitution trop tiède et sage qui néglige l'essentiel.

Ridley Scott tourne énormément. A une cadence infernale même depuis quelques années, une cadence digne d’un Woody Allen sauf que ses films demandent bien plus de travail par leur ampleur (lieux de...

le 27 déc. 2017

16 j'aime

Tout l'argent du monde
Foulcher
5

Trop creux et caricatural

Je suis allé voir ce film un peu par hasard étant donné qu'il me restait deux places de cinéma du CE à écluser et qu'il n'y avait que ça à voir : j'ai donc découvert le sujet du film au fil du...

le 28 déc. 2017

14 j'aime

Du même critique

Avengers: Infinity War
Behind_the_Mask
10

On s'était dit rendez vous dans dix ans...

Le succès tient à peu de choses, parfois. C'était il y a dix ans. Un réalisateur et un acteur charismatique, dont les traits ont servi de support dans les pages Marvel en version Ultimates. Un éclat...

le 25 avr. 2018

205 j'aime

54

Star Wars - Les Derniers Jedi
Behind_the_Mask
7

Mauvaise foi nocturne

˗ Dis Luke ! ˗ ... ˗ Hé ! Luke... ˗ ... ˗ Dis Luke, c'est quoi la Force ? ˗ TA GUEULE ! Laisse-moi tranquille ! ˗ Mais... Mais... Luke, je suis ton padawan ? ˗ Pfff... La Force. Vous commencez à tous...

le 13 déc. 2017

193 j'aime

39

Logan
Behind_the_Mask
8

Le vieil homme et l'enfant

Le corps ne suit plus. Il est haletant, en souffrance, cassé. Il reste parfois assommé, fourbu, sous les coups de ses adversaires. Chaque geste lui coûte et semble de plus en plus lourd. Ses plaies,...

le 2 mars 2017

186 j'aime

25