La séance démarre. Détends toi. À ta gauche, ton voisin a gagné la bataille de l'accoudoir, à ta droite tu as perdu celle du marquage de territoire. Des émanations putrides s'évadent des dessous de bras d'un homme gras. Il s'excuse de son rire jaune et de son haleine verte : "dézolé, ze termine mon mezzage et z'éteins mon zellulaire". Ne te déconcentre pas, le film a commencé. Ne ronge pas tes ongles non plus. Cela te rendra laid, rien de plus. C'est vrai, je te concède ça, c'est garanti sans calorie. L'autre abruti t'aveugle toujours avec la lumière de son téléphone. Dans le public, tu veux crier t'as pas bientôt fini putain ! mais ta voix cale. Ne te fais pas remarquer. Assène-lui un coup, en douce. S'il ne comprend pas, arrache-lui les doigts qui te serviront à touiller ton café après la séance lorsque tu rédigeras une critique de cinéma. Au moins, il n'écrira plus de SMS un samedi après-midi au cinéma et ne plongera plus jamais sa main dans un seau de popcorns. Les cinéphiles te remercieront. Ne me remercie pas.
Regarde plutôt cette femme Blanche qui broie du noir. Elle s'est obstinée à sauver le monde. Elle s'appelle Jeanne. C'est mignon Jeanne, c'est un palindrome boiteux avec un a en trop. Elle n'a pas l'air bien dans sa tête la petite dame. Elle veut se jeter sous un bus. Quelle idée ! Autant faire ça sous un train, ça emmerdera plus de monde et ça ne lui fera pas une trace de pneu dégueulasse sur son visage cramoisi. En plus de son éco-anxiété, elle est surendettée à cause de son entreprise qui a coulée. La femme doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l'appartement de sa mère disparue un an auparavant. Elle est pas belle la vie avec ces fantômes boomerang qui te reviennent dans la gueule bien après qu'ils soient crevés ? Sous un train, tu as moins de chance de revenir sous forme fantôme. C'est scientifiquement prouvé. Fais-moi confiance ! Dans son voyage, à l'aéroport exactement, Jeanne a rencontré un kleptomane. Non c'est pas un chien. C'est quelqu'un qui vole. Non pas avec des ailes. C'est un voleur de pacotilles, un arrangeur de sa propre conscience. Lui il n'a pas l'air bien dans sa tête non plus, mais il le vit bien. Tu penses qu'il a une bête dans la tête comme Jeanne. Jeanne elle est complètement tarée avec ses pensées chiennes qui grattent sur le tapis de son cerveau. L'odeur qui émane d'elle est pire que celle de ton voizin trop con, c'est l'odeur de la dépression. La dépression c'est de la merde mais ça sent pas le renfermé. Je te le dis comme ça entre deux séquences, mais moi celle que je kiffe c'est Céline. Céline c'est beau comme Devaux, c'est pas un palindrome à qui on a pété la rotule. Céline avec cette odeur de merde elle est capable d'en faire un véritable air frais, un goût mentholé qui explose les narines. Dans son art, elle mêle l'animation introspective où rien est interdit : y'a pas de tabous, pas de tiédeurs. Je suis sûr que Céline elle doit s'habiller avec des robes en couleurs tellement son film il respire la vie. Elle pourrait si bien me comprendre Céline. Pas toi, moi ! Je ne sais pas si Tout le monde aime Jeanne mais moi j'aime vraiment Céline. Non je ne suis pas amoureux, c'est juste que ça fait un bien fou d'être compris à l'endroit de sa folie.