Toute la mémoire du monde mêle de façon virtuose la visée pédagogique, qui immerge son spectateur dans un lieu afin d’en dévoiler le fonctionnement quasi magique, à l’esthétique réflexive : Alain Resnais nous offre une fascinante visite guidée de la BNF et aborde les dédales de couloirs donnant sur des pièces encombrées, ces niveaux de connaissances accessibles par cages d’escaliers métalliques ou échelles ou tubes ou monte-livres comme un labyrinthe mental. La caméra parcourt et sonde les différentes sphères de ce cerveau d’un pays et du monde entier, dans lequel s’activent des centaines de personnes telles les abeilles d’une ruche ou les fourmis d’une fourmilière ; l’idée étant d’incarner à l’écran un espace intérieur, entité organique et vivante, dont la puissance physique tient à la somme de pensées détenues en lui. L’omniprésence du mouvement et de l’action humaine rappelle à quel point le savoir humain est fragile et l’œuvre des conservateurs essentielle en ce qu’elle « fait échec à la destruction ».
La partition de Maurice Jarre confère à l’ensemble des airs solennels et graves, changeant la bibliothèque en une gigantesque cathédrale du savoir. Son énergie est telle qu’il nous prend l’envie, sinon le besoin, de nous mêler à cette masse de corps lunettés que la caméra filme recroquevillés sur leur ouvrage ; une envie de faire partie, à notre tour, de ce lieu sacré. Un immense court-métrage.